25% des arbres « admis à l’abattage » en Région Bruxelloise le sont à …Uccle

(… et cela représente près de 15 000 arbres abattus ces 13 dernières années dans notre commune)

La question des arbres et du couvert végétal en milieu urbain est souvent chargée émotionnellement : les citadins sont très attachés aux arbres qu’ils côtoient quotidiennement dans l’espace public, quand ce n’est pas dans leurs jardins. Les arbres sont autant de repères, d’abris, de lieux d’observation, de souvenirs et de sourires… L’arbre, c’est la vie !

La commune d’Uccle est recouverte à 75 % de végétal et offre près de 100m2 d’espace vert par habitant . Les statistiques de Bruxelles Environnement semblent dresser un tableau favorable de la commune [1].

D’où vient donc ce sentiment diffus des Ucclois que leur commune verte… perd de son vert ?

Nous avons mené l’enquête…et, pour la première fois à Uccle, nous proposons une série de recommandations basées sur un constat chiffré et fiable.

Qui gère les arbres à Uccle ? Un incroyable mille-feuille administratif avec peu de visibilité

Pour objectiver le débat, il nous a fallu trouver des données chiffrées et fiables. Et ce ne fut pas simple car très vite nous avons constaté qu’aucun inventaire n’existe répertoriant l’évolution du contingent arboré d’Uccle.

En creusant le sujet, nous nous sommes rendu compte que les arbres de notre commune sont gérés par 4 institutions différentes :
  La commune gère des arbres en voiries communales et parcs/espaces verts communaux (il y en aurait 14 000) ;
  Bruxelles Mobilité gère les arbres en voiries régionales, tels que ceux de l’avenue Churchill ou de la chaussée d’Alsemberg (1 597 arbres en gestion) ;
  Urban.Brussels gère les « arbres remarquables »de la commune (638 y sont recensés à Uccle [2] , soit dans l’espace public, soit dans les jardins privés) et approuve les permis à dimension régionale, tels que les permis d’Infrabel, de la STIB, mais aussi les permis mentionnant des classements, etc ;
  … et Bruxelles Environnement gère les arbres des espaces verts régionaux (sans que nous puissions connaitre le nombre d’arbres sous leur responsabilité) ;

Par ailleurs, aucune base de données ne reprend ni ne combine la totalité de ces informations : il n’existe tout simplement pas de cadastre des arbres reprenant l’ensemble des arbres vivants à Uccle ! Et nous ne trouvons également aucune mesure et indicateurs pour calculer et communiquer le « bilan arbres » (soit la différence entre les arbres plantés et les arbres abattus), que ce soit au niveau communal et au niveau régional …

Une initiative citoyenne contributive a été lancée récemment par IEB : arbres.cartobru.be. Mais ce n’est pas suffisant et il appartient au pouvoir public de la réaliser.

Le peu d’information disponible ne propose pas de données historiques : il est par conséquent extrêmement ardu d’objectiver l’évolution de la présence des arbres dans nos espaces publics, et encore moins, on s’en doute, dans les espaces privés.

Uccle, championne régionale d’autorisation d’abattage d’arbres dans la Région Bruxelloise

Le site OpenPermits.brussels [3] permet à chacun de consulter les informations publiques relatives aux demandes de permis. Il est accessible à tous, et c’est une mine d’informations pour tous les citoyens. Il y a quelques mois, ce site s’est enrichi, pour notre plus grand intérêt, d’une section « demande avec abattage d’arbres [4] » (Fig.1) … et nous nous y sommes fortement intéressés, car c’est, à notre connaissance, la première fois que des données chiffrées sur les arbres sont disponibles pour notre commune !

Après une analyse approfondie des données que nous avons extraites d’Openpermits, nos premières conclusions sont interpellantes. Deux conclusions fortes ressortent de notre analyse :

Fig.1

1. Uccle est la commune, parmi toutes celles de la Région Bruxelloise, qui reçoit le plus de demandes d’abattage d’arbres (Fig. 2) : en moyenne annuelle, et durant ces 13 dernières années, 211 dossiers d’abattage d’arbres ont été introduits au service de l’urbanisme d’Uccle. Ceci représente plus de 2700 dossiers traités en 13 ans.

Pour donner une idée de comparaison, c’est trois fois plus que Woluwe-Saint-Pierre, deuxième de ce classement avec une moyenne de 68 demandes annuelles, et quatre fois plus que Watermael-Boistfort, 3ième de ce classement avec une moyenne annuelle de 48 dossiers introduits par an. A noter qu’Urban.Brussels se classe juste derrière Uccle, avec 2458 dossiers traités. Ces statistiques sont éloquentes, dans le sens où elles montrent que l’urbanisation gagne inexorablement du terrain à Uccle, beaucoup plus que dans les autres « communes vertes » de la Région. Une analyse encore plus approfondie des raisons induites de ces abattages nous montre que 50% de ceux-ci le sont dans les espaces verts et les voiries, que 11% le sont pour des raisons de sécurité, 30% ne renseigne pas de raisons claires, le reste se répartissant entre différentes autres origines.
Fig 2

2. L’administration uccloise a approuvé ces 13 dernières années l’abattage de 14 635 arbres à haute-tige, soit 25 % des 62 268 arbres disparus (Fig 3) sur la même période dans toute la Région de Bruxelles Capitale !

A noter que nous avons retiré de ces statistiques les abattages réalisés dans le cadre de l’exploitation de la Forêt de Soignes. Des abattages massifs ont eu lieu entre 2013, 2014, 2015 (Fig 3bis) ...

Fig 3bis – Des abattages massifs ont eu lieux à Uccle ces dernières années

Les Ucclois se souviennent de nombreux cas emblématiques : le Roseau, Manoir Pirenne, pont Carsoel, etc. De plus, aujourd’hui, plus de 400 arbres à haute tige sont à l’instruction à Uccle. A noter également qu’il n’y a, par définition, aucune statistique des abattages illégaux d’arbres à Uccle, qui sont pour rappel, interdits sous peine d’amendes. Quand on sait que personne à Uccle (ni à la Région d’ailleurs) ne sait combien d’arbres compte encore la commune, on peut raisonnablement penser que ces décisions d’abattage d’arbres sont prises à l’aveugle.


(Encart n°1)

Création de zones de chaleurs équivalent à 100 terrains de football et contribution au réchauffement climatique

Faire disparaître un arbre à haute tige, c’est se priver immédiatement des 50 m² d’ombre qu’il procure [5]. Par conséquent, 1 arbre = 50 m2 de canopée . Au rythme de plus de 1 000 arbres abattus par an, la commune a créé 78 hectares de zones de chaleur… Pour chaque arbre adulte qui disparaît, c’est aussi rejeter chaque année un minimum de 25 kg de carbone dans l’atmosphère et se priver de 3 650 kg d’oxygène [6] … La commune n’a-t-elle pas, comme l’ensemble des communes bruxelloises, signé la motion déclarant l’urgence climatique et environnementale ?


(Encart n°2)

Décider d’abattre un arbre, c’est se priver immédiatement des nombreux bénéfices qu’il procure sur le temps.

Bienfaits sur la santé mentale, en renforçant notamment le sentiment de bien-être et d’apaisement et physique car en filtrant l’air, les arbres réduisent la concentration des polluants, poussières et autres particules dans l’air, ombre, fraîcheur par évapotranspiration, limitation des vents froids, absorption de carbone, libération d’oxygène, rétention d’eau, protection et stabilisation des sols, apport en matière organique… ce qu’un arbre nouvellement planté, s’il survit, mettra 25 ans à minima à restituer. Sans compter leur rôle essentiel dans l’embellissement du paysage urbain, les arbres sont indispensables au maillage vert et au maintien de la biodiversité en ville puisqu’ils offrent abris, nourriture, lieu de reproduction aux animaux et protection pour les espèces végétales. Un autre point moins connu est celui du rôle plus sécuritaire rempli par les arbres. Selon plusieurs études il existerait un lien important entre l’abondance d’arbres et la diminution de la criminalité en ville. De plus, en raison de leur apparence plus étroite, les rues bordées d’arbres inciteraient un ralentissement du trafic et une prudence accrue de la part des automobilistes, ce qui diminuerait les risques d’accidents et augmenterait la sécurité lors des déplacements [7].


L’illusion des replantations

Comme expliqué, nous n’avons aujourd’hui accès qu’aux nombres de permis d’abattage d’arbres et aux nombres d’arbres concernés. Mais quid des replantations d’arbres, qui viendraient compenser quelque peu les abattages ?

Nous constatons que nous sommes dans la même opacité …

La Région annonce 21 000 arbres et arbustes plantés en 2021 sans préciser où.…

A Uccle, aucune statistique ne semble disponible, si ce n’est notre base de données OpenPermits qui signale …. 185 replantations sur Uccle en 13 ans, chiffre qui est certainement inférieur à la réalité (et ne tenant pas compte des décisions prises par des particuliers), mais chiffre qui reflète que la règle « un arbre coupé, un arbre replanté [8] » est certainement très loin d’être respectée à Uccle. Le Plan Climat, qui vient d’être approuvé au Conseil Communal d’Uccle, ne mentionne quant à lui aucun chiffre d’abattage/replantage et n’avance aucun objectif chiffré à atteindre...


(Encart n°3)
Les pouvoirs publics avancent souvent que la (re)plantation compense les abattages : rien n’est moins vrai. Un arbre nouvellement planté coûte cher à la communauté : comme l’explique Bruxelles Mobilité : « Ces jeunes arbres sont arrosés régulièrement les 3 premières années. […] Chaque arrosage d’arbre nécessite en moyenne 120 litres. Bruxelles mobilité adopte des stratégies visant à minimiser les quantités d’eau nécessaires tout en renforçant l’efficacité des arrosages, grâce au suivi par sondes tensiométriques. » [9]

Comme l’exprime Francis Hallé, dendrologue français reconnu : la replantation est une triple arnaque. « Patrimoniale, car le vieil arbre était considéré comme un monument aux yeux des habitants. Financière, car le vieil arbre ne coûtait rien, tandis que les dix jeunes vont coûter très cher, à planter et à entretenir. Enfin écologique, car il faudra 25 ans pour que les 10 jeunes arbres remplaçant le vieux atteignent une performance équivalente en matière d’épuration atmosphérique. » [10]

Grand écart entre les décisions politique et la réalité du terrain : nos arbres doivent être protégés dès aujourd’hui !

Malgré l’omniprésence du changement climatique dans le discours politique, le « Green Deal » Européen approuvé récemment au parlement européen et visant entre autre à réduire les îlots de chaleur en milieu urbain, les grandes intentions émises début décembre à la COP28, et, plus proche de nous, l’approbation d’un plan climat pour la commune d’Uccle et l’urgence climatique décrétée à Uccle, force est de constater l’abîme entre les promesses et la réalité du terrain (arbres abattus quotidiennement à la suite de permis délivrés, mais aussi illégalement sans aucun permis).

Confrontés à ce manque criant d’information, nous demandons à nos élus de se mobiliser aujourd’hui pour préserver les arbres de la commune et à participer au changement de paradigme largement plébiscité par la population : refuser de considérer les arbres comme un simple ornement de la ville et revendiquer qu’ils soient désormais traités avec le soin porté au vivant.

Cette demande est régulièrement répétée par les habitants d’Uccle, et en voici deux exemples :
  Pour rappel, le « classement des espaces verts pour limiter l’urbanisation » était une des trois recommandations émises par les 150 citoyens qui se sont rassemblés lors de trois soirées dans le cadre des Etats Généraux d’Uccle, en Octobre 2021.
  En 2023, l’ACQU a invité les Comités de quartiers et les citoyens à participer à plusieurs activités organisées autour de l’arbre. Ainsi il est ressorti des ateliers, de la réunion thématique, des rencontres citoyennes, de l’enquête, des balades d’arbre en arbre, une demande forte de préserver les arbres à Uccle, ainsi que des propositions et recommandations afin de protéger nos arbres pour faire en sorte que les générations futures puissent encore bénéficier de leurs bienfaits. Certains avancent l’idée que l’arbre devienne un bien commun, appartienne à la communauté de manière à ce qu’il soit encore protégé davantage de l’abattage arbitraire ou illégal.

Nos recommandations pour préserver le caractère vert d’Uccle

Maintenant que nous avons pu objectiver, certes avec encore quelques imprécisions, le bilan arbre de la commune d’Uccle, nous désirons aller plus loin. Suite à nos nombreuses interactions avec les habitants de nos quartiers, et les différents comités de quartier, nous proposons une série de recommandations très concrètes aux autorités communales, dont certaines ont déjà été émises dans le passé :

1. Mesurer, c’est savoir. Nous demandons au Service de l’Urbanisme, au Service Vert de la commune, au Collège et au Conseil Communal d’Uccle de mettre immédiatement en place des indicateurs de suivi sur les arbres, de les utiliser dans leurs décisions quotidiennes. Il est impossible de gérer sans mesurer et nous ne pouvons pas nous permettre, dans ce contexte d’urgence climatique et d’effondrement de la biodiversité, de continuer à gérer cet aspect environnemental en restant dans l’opacité.

2. S’engager sur des objectifs chiffrés :
a. Nous demandons aux autorités communales de définir des objectifs annuels précis, de les communiquer en interne aux fonctionnaires concernés, de les vérifier et de les publier mensuellement afin d’obtenir, année par année, un « bilan arbre positif » (#replantation - #abattage) à Uccle.
b. Nous demandons également que les autorités communales respectent strictement les législations qui protègent la nature (PPAS, PRAS, RRU (incl. PMR), Natura 2000, respect des intérieurs d’ilots, respect des normes d’imperméabilisation, etc), et de n’accorder aucune dérogation dans ce domaine, qui est surtout aujourd’hui accordée aux promoteurs immobiliers qui connaissent les techniques pour influencer les décisions politiques. Le nombre de dérogations « nature » doivent également être mesurées et publiées.

3. Communiquer, communiquer, communiquer : de nombreux ucclois pensent encore qu’ils peuvent abattre des arbres dans leur jardin sans demande préalable à la commune… Certains promoteurs se permettent encore de couper des arbres sans permis… D’autres promoteurs utilisent allègrement la possibilité de « permis modificatif » pour demander l’abattage d’arbres qui n’ont pas été autorisés lors des enquêtes publiques … Il faut que ces pratiques cessent, que les autorités communales y soient attentives, et que de nouvelles campagnes de communication soient lancées sur le sujet. Il serait également utile de rappeler le montant des amendes auxquelles font faces les contrevenants, et peut-être de s’inspirer des décisions prises à Paris [11] autour de l’augmentation du montant de ces amendes, pour les rendre réellement dissuasives.

4. Appliquer la législation :
a. Nous demandons que les rapports d’incidences environnementales soient relus sérieusement par les autorités communales et/ou régionales avant d’être acceptés et que le dossier de demande de PU soit considéré comme complet. Ces rapports sont rédigés par des bureaux spécialisés payés par le demandeur de PU. Ils sont le plus souvent incomplets et incorrects. Pourquoi ? Ces bureaux ne veulent pas déplaire à leur client qui rémunère leur travail !
b. Nous demandons que les décisions prises en Commission de Concertation soient respectées et qu’un organe spécialisé assure la vérification de ce respect.
c. La législation en matière d’abattage d’arbres illégal doit être appliquée systématiquement.
d. Un arbre abattu doit être l’exception et faire l’objet d’un remplacement comme stipulé dans la loi communale.

Garder le caractère vert à Uccle : une responsabilité collective

Lors de nos nombreuses rencontres avec les habitants dans le cadre de nos activités liées à nos comités de quartier, le maintien des espaces verts et des îlots de fraicheur est certainement une des premières aspirations des Ucclois. Notre commune est magnifique, et son parc arboré en est une des raisons principales.

Notre analyse basée sur des données chiffrées montre cependant une tendance très claire à Uccle : nos arbres disparaissent progressivement, au dépend de l’urbanisation et de l’imperméabilisation. A ce rythme, nos enfants et petits-enfants n’auront malheureusement plus le même environnement que celui que nous connaissons actuellement.

Or, nous sommes convaincus que toutes les parties prenantes, que ce soit la commune, la Région, les instances régionales (STIB, Infrabel, Sibelga, etc), les comités de quartiers, les promoteurs … et les habitants ont un rôle à jouer dans l’élaboration d’un nouvel éco-système permettant l’harmonie entre environnement et urbanisation.

La « cellule arbres » de l’ACQU continuera à s’investir dans les débats avec toutes les parties désireuses d’avancer sur ce sujet.


Le collectif Help4Trees a déposé une pétition auprès du Parlement bruxellois pour interpeller les autorités régionales à se doter urgemment d’une politique « arbres » à l’échelle régionale visant une gestion respectueuse du patrimoine arboré, dont les 3 axes sont : préserver le patrimoine arboré existant, augmenter le nombre d’arbres, mobiliser et sensibiliser les citoyens. Avec 1 000 signatures, il sera possible d’interpeller la commission environnementale sur cette question. Merci de nous aider avec votre signature. https://democratie.brussels/initiatives/i-178


© Par Anne Bonew, Martine De Becker, Barbara Decupere, Dominique Vaes – novembre 2023
30 avril 2024