Article paru dans la Lettre aux Habitants n°71, mars 2012.
Lettre signée G.K.,
Je me permets de réagir à votre article sur le réaménagement
de la N5 et surtout aux conclusions utopiques
et rêveuses de ce dernier. . .
En effet, s’il est beau de penser que nous rêvons tous
à un environnement qui souffrirait moins de la pression
et de la pollution automobile, nous ne pouvons
oublier que les forces vives et les travailleurs de ce pays
ont besoin de pouvoir se déplacer avec leur véhicule et
de conserver leur liberté de circulation. A ce titre, l’axe
d’entrée dans Bruxelles que constitue la N5 est vital
pour les automobilistes et doit rester un axe majeur
ouvert principalement à la circulation des voitures individuelles.
Toute limitation des voies de circulation
amènera automatiquement à l’étouffement de la circulation
en voiture individuelle et à des bouchons bien
pires que ce qu’il y avait précédemment sans pouvoir
solutionner ces derniers par une offre transports en
commun cohérente et compétitive face à la voiture individuelle.
Et voici les principaux éléments que je voudrais mettre
en avant et que dont vous avez oublié de tenir compte
dans votre raisonnement :
ECONOMIQUE :
POLITIQUE :
Pourquoi ne pas parler dans votre article d’autres alternatives
telles que desmesures d’incitation au co-voiturage,
de véhicules verts, de la diminution de la
pollution des véhicules modernes, (...)
(. . .)
En vous remerciant cordialement de votre travail que
je respecte profondément,
Lettre signée Georges Copinschi,
Le plan de la Région flamande pour un réaménagement
de la chaussée de Waterloo, déjà connu depuis
quelques mois, longuement exposé et commenté très
positivement dans le numéro 70 de la Lettre aux habitants,
illustre de manière caricaturale les dérives absurdes
de la régionalisation.
En élaborant un plan
limité à la seule partie de cette chaussée située en Région
flamande, sur le territoire de la commune de
Rhode-Saint-Genèse, on occulte complètement la problématique
globale de la circulation sur cette chaussée,
qui s’étend sur les trois Régions du pays.
La Région flamande a fait étudier les caractéristiques
du trafic uniquement sur son propre territoire, et élaboré
un projet local, sans se préoccuper des répercussions
dans les deux autres Régions, et de surcroît sans
concertation aucune avec ses propres citoyens, à en
croire les réactions hostiles évoquées dans la Lettre aux
Habitants.
Le résultat est un projet totalement aberrant,
sans aucune vision globale, qui ne fera qu’aggraver
encore plus la situation existante, notamment en
refoulant les embouteillages –y compris pour les bus–
chez les voisins : à Waterloo pour le trafic entrant vers
Bruxelles, à Uccle pour le trafic sortant. Avec comme
conséquence un reflux de ce trafic vers les rues résidentielles
avoisinantes : on peut déjà le constater quotidiennement
aux heures de pointe, où le trafic de la
chaussée déborde sur la rue du Ham et l’avenue Fond’Roy.
Cela pourrait encore avoir un sens s’il en résultait une
réduction réelle du trafic automobile. Mais il n’en sera
rien, car les bus reperdront, en amont de la zone où ils
disposeront d’une bande réservée, le temps qu’ils gagneront
à ce niveau. Et les automobilistes continueront
à préférer patienter dans le confort de leur voiture que
dans l’inconfort du bus.
Si l’on veut réduire le trafic automobile des navetteurs
en privilégiant le recours aux bus, il faut que
ceux-ci disposent de bandes réservées sur la majeure
partie de leur parcours, en l’occurrence depuis le centre
de Waterloo jusqu’au centre de Bruxelles. A moins
d’interdire tout stationnement (et même tout arrêt)
tout au long de ce trajet, c’est clairement impossible.
Pour y obvier, le C.A de l’A.C.Q.U. suggère de faire passer
le bus, en site propre, par le Bois de la Cambre. C’est
oublier que le bus remplit aussi un rôle essentiel de liaison
de proximité. A preuve les arrêts supplémentaires
en voie d’aménagement chaussée deWaterloo : entre
le Viver d’Oie et l’avenue Van Bever, soit sur 1.400
mètres, on compte maintenant pas moins de 5 arrêts.
Comble de l’absurde du projet de la région flamande :
l’interdiction de tourner à gauche au débouché
des avenues latérales secondaires, au motif
d’optimaliser et de sécuriser les flux circulatoires. On
va ainsi contraindre les véhicules à un détour supplémentaire,
et augmenter la consommation de carburant
et la pollution. Quant aux piétons désirant se
rendre à Bruxelles, ils ne trouveront aucun arrêt sur
plus d’un kilomètre, sauf si on imagine leur faire traverser
la chaussée, à leurs risques et périls, au milieu
des embouteillages. Il suffirait pourtant d’installer des
feux tricolores à ces cinq carrefours, avec priorité automatique
aux bus…
On pourrait par contre créer des lignes de bus express
permettant d’acheminer rapidement les navetteurs
de Waterloo, Braine l’Alleud, Alsemberg ou
Rhode Saint-Genèse notamment, vers le centre de
Bruxelles. Plutôt que de les engluer dans la circulation
de la chaussée de Waterloo, il serait alors beaucoup
plus efficace de les faire passer par l’autoroute de
Mons, en y prévoyant une bande de circulation réservée
à tous les transports collectifs aux heures de pointe
(ou la bande d’urgence), et aboutissant à Uccle Stalle
au terminus des trams 4 et 91. Cette alternative, qui ne
nécessiterait pratiquement aucun investissement,
pourrait être expérimentée sans tarder.
Encore faudrait-
il une coopération étroite entre le gouvernement
fédéral, les trois gouvernements régionaux, la STIB, les
TEC et DeLijn. Est-ce envisageable ?
Sur le moyen et le long terme néanmoins, la solution
optimale réside dans l’utilisation du réseau des chemins
de fer pour mettre en place un RER performant
aboutissant au centre de la ville, et relié à un maillage
dense de transports en commun. (A cet égard, le projet
de la SNCB de dévier la ligne 124 vers la gare de
l’Ouest constitue une aberration de plus).
Que ce soit en RER ou en bus rapides, il est cependant indispensable que les navetteurs, disséminés dans
toute la périphérie, puissent facilement y accéder, que
ce soit en empruntant un réseau dense de bus locaux,
et/ou en disposant d’emplacements adéquats de parking
à proximité immédiate des arrêts. On est malheureusement
loin de compte…
Encore une réflexion personnelle. J’ai peine à croire
que le projet de la Région flamande soit totalement
dépourvu d’arrière-pensées communautaires. Surtout
quand on songe à la volonté du gouvernement flamand
de dédoubler le ring nord de Bruxelles ; ou à l’attitude
de la ministre CD&V Brigitte Grouwels sur le
dossier de l’avenue du Port.
Dans les deux cas, on ne
peut dire que le souci de réduire la circulation automobile
soit au centre de leurs préoccupations…
COMMENTAIRE DE L’ACQU SUITE
AUX CRITIQUES REÇUES
Nous tenons tout d’abord à remercier très sincèrement nos deux correspondants : ils se sont donné la peine de mettre par écrit et de façon détaillée ce qu’ils pensent du réaménagement de la chaussée de Waterloo tel que le suggère le gouvernement flamand. Leurs opinions sont argumentées de façon différentemais elles nous semblent d’autant plus intéressantes qu’elles reflètent probablement celles de la grande majorité des automobilistes qui empruntent cette artère. Or, c’est de la confrontation des points de vue que peut naître une solution. Rappelons d’abord le problème : le gouvernement flamand songe à réaménager la nationale 5 sur le territoire de Rhode St Genèse :
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Disons-le d’amblée, avant d’examiner les argumentations
: nous sommes déçus de ne pas y lire une alternative
sérieuse à l’engorgement de la chaussée à son
entrée en ville.
Le premier suggère le co-voiturage.
C’est très bien et cela ne nécessite aucun aménagement,
mais est-ce une véritable solution ? Nous n’y
croyons guère : voici des années qu’on pourrait le pratiquer,
et qui y recourt ?
Le second prône une ligne de
bus express permettant d’acheminer rapidement les
navetteurs via l’autoroute de Mons jusqu’au parking
de la rue de Stalle d’où des trams les amèneraient au centre ville. Nous sommes sceptiques sur les effets que
cela aurait pour désengorger la chaussée de Waterloo.
Mais ne rejetons pas l’idée, d’autant plus que la Stib et
la Région flamande envisageraient sérieusement de
prolonger la ligne du tram 4 jusqu’à Ruysbroeck. Cependant,
ce n’est pas parce qu’on prévoit l’installation
d’un pôle intermodal au terminus du tram4 qu’il n’est
pas utile d’améliorer également les transports collectifs
chaussée de Waterloo. L’un n’empêche pas l’autre.
Voyons maintenant ce que notre premier correspondant
critique dans ce projet qui vise à freiner l’usage
de la voiture individuelle. L’accent est d’abord mis sur
l’économie (1) et ensuite sur le politique (2).
(1) Objections d’ordre économique :
–* Le projet constituerait une entrave à la libre circulation
des personnes qui viennent travailler en ville,
alors que ce sont elles qui contribuent à la richesse
de la Région de Bruxelles Capitale et notamment
d’Uccle ; la conséquence pourrait être un frein à l’activité
économique et même une délocalisation du
travail :
Bruxelles n’est pas un cas unique en Europe. Même si
toute comparaison est délicate, on peut quand même
voir ce qui se pratique autour de nous. Or, en Allemagne
et en Suisse – pour prendre deux pays exemplaires
en matière d’activité économique – on est bien
en avance sur la Belgique dans la recherche de modes
de déplacements autres que la voiture individuelle.
Certes, la possession d’une voiture y est très normale,
mais l’utilisation en est systématiquement réduite à
l’approche et à l’intérieur des agglomérations. Grâce à
cela, ces deux pays voient leur taux de déplacements
individuels chuter chaque année un peu plus depuis
10 ans, rendant ainsi leurs centres urbains plus viables.
La Suisse est particulièrement volontariste : là-bas, il y
a longtemps que la chaussée de Waterloo aurait une
bande réservée aux bus et ceux-ci bénéficieraient de
feux qui passeraient au vert à leur approche ; bien plus,
les feux resteraient au rouge pour les voitures individuelles
en cas de congestion importante en ville ; c’est
comme dans un parking rempli : une voiture entre si
une voiture est sortie. Le résultat est qu’on prend les
transports en commun pour se rendre de la périphérie
au centre de la ville. On a réalisé que les transports publics
sont plus efficaces que les transports individuels
pour faire venir les navetteurs. Et en France aussi, plusieurs
villes ont réussi à limiter l’accès en voiture.
–* L’argument de l’impôt prélevé sur le travail (et sur la
voiture) appelle de nettes réserves.
La voiture génère des coûts externes bien supérieurs
aux taxes et accises payés par les automobilistes. (C’est
comme pour le tabac.) Certains estiment que le coût
de la pollution, des soins de santé, des accidents, etc…
sont 3 fois supérieurs, et ils sont à charge de toute la
population alors qu’à Bruxelles – on l’ignore souvent –
environ 40%des ménages n’ont pas de voiture. Même les voitures « vertes » polluent, prennent de la place,
sont source d’accidents,…
–* Notre correspondant compte qu’il ne passe que 3 ou
4 bus par heure sur le tronçon considéré, c’est-à-dire
le territoire de Rhode St Genèse.
Il est de fait que, surtout aux heures creuses et le weekend, la fréquence est insuffisante,mais ceci peut se corriger.
Mais pourquoi ajouter qu’il faudrait 30 à 40 bus pour
remplacer les presque 2.000 autos comptabilisées à
l’heure de pointe ?
Tout d’abord, nul ne songe à éliminer
toutes les voitures, mais seulement à en diminuer
le nombre. Si on réussissait à réduire de 25% le
nombre actuel, il n’y aurait plus de problème. En outre,
si les bus n’étaient plus englués dans la circulation – à
cause des voitures individuelles ! - ils rouleraient plus
vite, les mêmes bus pourraient faire plus souvent la navette,
ils seraient donc plus attrayants, ils pollueraient
moins que les voitures qu’ils remplaceraient, ils occasionneraient
moins de stress … C’est un peu le problème
de l’œuf et de la poule : le bus n’avance pas,
donc on prend sa voiture. Si on commençait par donner
aux bus un site propre et la priorité aux carrefours !
–* Les navetteurs feraient vivre les commerçants bruxellois
et spécialement ceux installés le long de la chaussée
?
Il n’est évidemment pas question de supprimer la voiture
individuelle ; elle peut se révéler indispensable.
Ceci étant, si ce sont les navetteurs qui sont visés, nous
ne pensons pas qu’il y a une différence notable à cet
égard entre des navetteurs automobilistes et des navetteurs
en transports publics.
–* Les écoliers : c’est vrai, notre correspondant soulève
ici une réelle difficulté. Uccle compte une cinquantaine
d’établissements scolaires ; les élèves viennent
pour moitié de la périphérie et on estime que 85%
des élèves vont à l’école en voiture. Conséquence :
20%environ des trajets automobiles aux heures de
pointe sont liés aux déplacements scolaires.
Cette situation n’est toutefois pas une fatalité : la R.B.C.
encourage, aide financière à l’appui, les écoles à créer
un Plan de Déplacement Scolaire. Certaines l’ont fait,
mais beaucoup ne sont toujours pas entrées dans cette
voie. Une bande réservée aux transports collectifs les
rendrait performants. Profitons-en pour signaler le
manque de pistes cyclables à Uccle…
Notre second correspondant souligne très justement
« les dérives absurdes de la régionalisation ». Nous ne
partageons cependant pas son pessimisme quand il affirme
que la priorité aux bus n’arrangera rien et que la
situation sera encore pire qu’aujourd’hui car elle provoquera
des bouchons aux deux extrémités de Rhode.
Ne peut-on espérer que si la Région flamande réalise
quelque chose, les autres Régions reverront leur position ?
Et notamment que la Région bruxelloise acceptera
de prolonger le site prioritaire jusqu’où c’est
possible, tout en protégeant les quartiers résidentiels
voisins ?
(2) Danger politique ?
Nos deux correspondants craignent que l’aménagement
projeté par le gouvernement flamand soit dicté
par une volonté cachée de couper le lien entre la R.B.C.
et la Wallonie. Tout comme on ne s’explique pas le projet
de ce gouvernement de fermer l’avenue Dubois qui
relie Uccle à Groenendael et à La Hulpe en traversant
la Forêt…
Le « communautaire » est partout en Belgique, mais
faut-il vraiment aller jusqu’au procès d’intention ? L’article
commenté donne pourtant des justifications qui
semblent pertinentes et suffisamment objectives pour
écarter cette crainte : il y a nettement plus de trafic
entre la drève de St Hubert et l’avenue de la Forêt de
Soignes (zone A) qu’entre celle-ci et Waterloo (zone
B). Il semble que même la direction des TEC trouve normal
de prévoir une bande de circulation de plus dans
la zone A. Pensant à l’avenir et à la disposition des
lieux, l’ACQU a cependant manifesté sa préférence
pour qu’il existe 3 bandes de circulation dans les deux
zones, et en outre nous ne comprendrions pas que la
bande réservée n’existe que pour entrer en ville.
Mais peut-être pêchons-nous par un excès de confiance
et ne voyons-nous pas les intentions cachées de l’administration
qui porte ce projet…
Que conclure provisoirement ?
Nous partons du constat que l’engorgement de cette
entrée en ville devient de plus en plus fréquent et que
le trafic augmente d’environ 2% chaque année. On
doit donc en conclure que laisser les choses comme
elles sont nous conduira à la pire des situations : l’immobilisme.
Nous répétons donc ce que nous affirmions
dans notre article précédent : quels que soient les
moyens mis en oeuvre – tidal flow ou autre procédé –
ce qui importe à nos yeux est la création d’une bande
réservée aux transports collectifs, privés et publics.
Autre donnée que nous ne pouvons oublier : l’Union
européenne nous impose – sous menace de lourdes
sanctions financières – de réduire sensiblement la pollution
de l’air, et ceci dans un souci de préserver la
santé publique. Or, la pollution atmosphérique provient
en bonne partie du trafic automobile… C’est
d’ailleurs pour cela que dans le plan IRIS 2 du gouvernement
de la R.B.C. il est prévu de réduire de 10% le
trafic automobile en 2015 par rapport à 1999 et à 20%
en 2020, ce qui ne sera même pas suffisant pour respecter
les normes européennes de pollution.
Nous ne prétendons pas que l’aménagement projeté
soit LA solution. Il est même certain que l’addition de
plusieurs mesures drastiques sera nécessaire. Une forte
limitation du parking en ville dissuaderait les automobilistes
d’utiliser leur voiture individuelle. Un péage urbain
aussi (mais il pénaliserait des personnes qui sont
obligées de prendre leur voiture).