LA PARTICIPATION CITOYENNE : ON AVANCE À RECULONS

Article (éditorial) paru dans la Lettre aux Habitants n°75, mars 2013.


Il y a 40 ans, évoquer une participation des habitants
au processus décisionnel de leur cadre de vie urbain
était révolutionnaire, politiquement incorrect dirait-on
aujourd’hui. Il suffit d’ouvrir un journal pour
constater que c’est devenu banal. C’est dans les années
70 que se sont constitués un peu partout à
Bruxelles des comités de quartier ou des associations
veillant à la protection de l’environnement, en réaction
à la « bruxellisation » des années 60. L’A.C.Q.U.,
qui rassemble les comités ucclois, est née en 1974, un
an après Inter Environnement Bruxelles qui fédère
l’ensemble des comités et associations de la région
bruxelloise.

On pourrait penser qu’après quatre décennies, ce
mouvement citoyen est devenu partie prenante dans
la vie publique et qu’il a voix au chapitre ; pas pour
décider puisque le décision ne peut appartenir qu’au
pouvoir politique, mais pour être écouté. D’une certaine
manière, c’est exact, mais pas comme on pourrait
le penser.

Globalement – car il faut éviter de généraliser – l’impression
qui domine est celle-ci : le mouvement associatif
est très actif et le monde politique dit qu’il
l’entend … mais il n’en tient guère compte. Il faut
dire que les médias relaient quotidiennement les critiques
ou les suggestions des habitants, de sorte que
le pouvoir politique ne peut faire comme s’il n’entendait
rien. Et il est même de bon ton qu’il dise : les
comités ont un rôle à jouer ; nous devons travailler
avec eux … Mais 9 fois sur 10, cela reste un voeu
pieux ! Serait-ce parce que les comités d’habitants
présentent des suggestions ineptes, ou irréalistes, ou
contradictoires, ou nymbistes, c’est-à-dire égoïstes ?

Parfois oui, mais quand même pas si souvent ! La vérité
nous semble être à rechercher dans la volonté du
pouvoir politique à décider seul, sans s’encombrer de
discussions avec des « tiers ». Il est évident que de
telles discussions pourraient être interminables et
qu’on ne pourrait contenter tout le monde. Eux sont
« experts » puisqu’ils ont la pratique et sont équipés,
tandis que nous sommes « amateurs », sans expérience
ni responsabilité.

A ceci s’ajoute la réaction, parfois même exprimée,
que les mandataires sont représentatifs puisqu’ils ont
été élus, tandis que les groupements d’habitants ne
le sont pas. A première vue, c’est vrai : nous élisons
« démocratiquement » ceux qui nous gouvernent et
si nous n’en sommes pas contents nous n’avons qu’à
voter pour d’autres.Mais si on y regarde de plus près,
où est notre choix ? où est la représentativité ? Lors
des élections, nous nous trouvons devant des candidats
qu’un petit comité dans chaque parti a placés
sur la liste. Ces candidats sont le plus souvent ceux
qui ont montré leur fidélité au parti, qui votent
comme le parti l’exige, sauf les très rares cas où la liberté
de vote leur est « rendue ! » Ces candidats ont
promis monts et merveilles … mais la nécessité de
former des coalitions a pour résultat qu’ils doivent
oublier beaucoup de ce qu’ils avaient promis … Sans
parler de ceux qui se présentent, sont élus, puis laissent
leur place à un suppléant.

Il n’empêche que ceux qui ont été élus considèrent
qu’ils représentent les habitants et même qu’ils ont
reçu un blanc seing pour prendre les décisions. Ils ne
redeviennent sensibles - mais si peu ! – à l’opinion des
électeurs qu’à l’approche des élections car ce qui
compte pour eux, c’est d’être réélus. Et pour certains,
c’est même une nécessité pour ne pas perdre leur métier.
Cette course à la réélection explique en partie
pourquoi les politiques sont si souvent dans le court
terme. Cette situation nous inquiète car notre avenir
économique, écologique et climatique exige une réflexion
approfondie dans le long terme.

Quant aux groupements de citoyens, généralement
constitués de façon informelle, ils ne peuvent se targuer
d’un quelconque mandat. Mais les habitants
n’ont pas d’autre moyen, à côté des médias, pour se
faire entendre collectivement. S’ils ne sont pas experts,
sont-ils pour autant incapables de penser leur
quartier avec une vision de l’intérêt général ? Dans
les domaines de la mobilité ou de l’aménagement
d’un quartier, n’ont-ils pas un savoir que n’ont pas les
politiques ? Or, non seulement leurs voix ne sont pas
entendues, mais souvent les pouvoirs publics se gardent
bien de créer des espaces de dialogue. Certes, il
y a des exceptions ; ne généralisons pas : il arrive
qu’un échevin se mette à l’écoute des habitants
avant de prendre une décision, mais c’est rare. Et il
existe maintenant des enquêtes publiques et des
« commissions de concertation ». Mais ces organismes
portent une dénomination trompeuse car on n’y
« concerte » pas : c’est simplement l’endroit où on
peut dire, devant quelques représentants communaux
et régionaux, ce qu’on pense d’un projet. Bien
plus, dans beaucoup de cas, on a l’impression que
ceux qui siègent dans ces commissions ont déjà pris
leur décision avant d’entendre les habitants ; encore
heureux si tous ceux qui siègent dans ces commissions
ont lu les remarques formulées par écrit. Il suffit de constater que les avis détaillés de ces commissions
sont généralement rendus le surlendemain de
la séance et ne rencontrent pas assez souvent les critiques.
Quand la commission se réunit, il est presque
impossible de modifier ce qui a déjà été ficelé.

Bref : progrès ou recul ? On est tenté de répondre :
« un peu des deux ». Il y a d’une part un incontestable
acquis par rapport à l’opacité qui régnait naguère.
Une énorme prise de conscience s’est
développée et un cadre légal a été créé. Mais n’est on
pas parfois dans l’apparence plus que dans la réalité
 ? Et il y a plus dangereux : quand le mouvement
associatif atteint son objectif, avec l’appui indispensable
des médias ou par le recours à la justice, le pouvoir
politique a la tentation de modifier les règles du
jeu et à rendre plus difficile ou même impossible la
contestation. Des exemples concrets tout récents ne
manquent pas qui illustrent cette tendance à museler
la participation citoyenne. On vivrait alors de plus
en plus dans un semblant de légitimité démocratique.

Denys Ryelandt