LE PROJET DE REGLEMENT REGIONAL D’URBANISME (RRU)

Quelques bonnes intentions, mais une dérégulation larvée}

NOTE LIMINAIRE POUR L’ARTICLE CONCERNANT LE RRU

Le gouvernement bruxellois a l’ambition de moderniser la réglementation en matière urbanistique. Si l’objectif de sortir de la « culture de dérogation » est louable, et si certaines dispositions constituent une vraie avancée sur des thèmes environnementaux nouveaux, le projet aboutit – intentionnellement ? – à une dimension subjective dans le traitement des demandes de permis, à des appréciations à géométrie variable.

Cela s’apparente à un catalogue de bonnes intentions mais qui ne comporte pas de règles claires permettant de vérifier la conformité d’un dossier.
Par ailleurs, la grande imprécision des règles ne laissera guère de place aux recours des habitants. La Commune d’Uccle l’a bien compris, elle aussi, puisqu’elle a, tout comme l’ACQU, émis un avis critique sur ce projet de nouveau RRU.

Le texte qui suit est un résumé de l’avis rendu par l’ACQU. Il est forcément assez « technique ». Il est toutefois important de le lire pour comprendre l’orientation de ce règlement, ou plus exactement ce que l’on pourrait qualifier de plan stratégique, qui aura une grande influence sur le traitement des dossiers urbanistiques.


Introduction

Le gouvernement bruxellois a adopté en première lecture, le 10/11/2022, un projet révisé de règlement régional d’Urbanisme (RRU) et l’a soumis à enquête publique du 12/12/2002 au 20/1/2023. Pascal Smet, Secrétaire d’Etat en charge de l’Urbanisme, s’est appuyé sur un comité d’experts présidé par Benoit Moritz, et comprenant 5 architectes, le bouwmeester régional, 2 urbanistes, dont le directeur de l’UPSI ( Union professionnelle du Secteur Immobilier). Les objectifs assignés étaient de donner un coup de fouet aux gabarits et densités du bâti (par la possibilité de construire des tours), d’intégrer les nouvelles formes d’habitat (dont le co-living), une gestion intégrée des eaux pluviales et la végétalisation de l’espace public, la révision des normes de stationnement hors voirie.

Le résultat de ces réflexions a été baptisé « Good Living », dans la ligne de certains autres plans du Gouvernement (Good Move , Good Food, ….), sauf qu’il s’agit , dans le cas présent, d’un règlement qui devrait prescrire des règles impératives, et non d’un plan stratégique développant des objectifs, moyens et résultats escomptés.

Un des objectifs louables annoncé est celui de sortir de la culture de la dérogation. Or, ce phénomène fort présent à Bruxelles peut soit se justifier par l’inadéquation / inapplicabilité progressive des règles conduisant à son obsolescence, mais surtout à notre estime, par la faiblesse des gardefous à un octroi trop aisé de dérogations.

Vu la composition du comité d’experts, regroupant des professionnels de la branche, sans contre-pouvoirs de représentants de la société civile, la tendance des prescriptions a été de « rendre possible ce qui est souhaitable » avec un minimum de contraintes ou de balises.

Comme le relève le RIE (Rapport sur les incidences environnementales) qui accompagne le règlement : « Les dispositions laissent plus de place à la dimension subjective, pouvant induire des traitements des demandes de permis différents en fonction de la sensibilité urbanistique de l’un ou l’autre. ». Il est question de fixer un cadre urbain : définir quelle ville est souhaitée, et laisser plus de flexibilité aux demandeurs – promoteurs pour y arriver.

Mais la plupart des acteurs communaux ont des revendications qui vont dans le sens inverse du projet de règlement, en réclamant qu’un maximum des paramètres des constructions puissent recevoir des balises claires par la réglementation, afin de pouvoir vérifier plus facilement la conformité d’un dossier.

Et dans le même temps, les habitants et associations demandent des règles claires, répondant aux nouveaux enjeux sociaux et environnementaux et permettant de mesurer concrètement la rencontre de ces enjeux, plutôt que de constituer un catalogue de bonnes intentions.

Nous craignons, encore plus qu’aujourd’hui, que ce manque de balises claires conduise à des appréciations à géométrie variable par les autorités de l’Urbanisme, en faveur des gros projets qui génèrent une surenchère de la rente foncière avec un impact négatif sur la perméabilisation des sols et le coefficient de biodiversité.

Quelques avancées du projet

L’ACQU salue quelques avancées importantes du projet de nouveau RRU en termes de protection des espaces ouverts et de leurs qualités environnementales et urbanistiques, et notamment :

• Les objectifs sont fixés pour orienter la politique à suivre dans l’octroi des permis, mais avec toutefois trop peu de balises , ce qui donne à l’administration une vaste marge d’appréciation et peu de sécurité juridique.

• Le critère du bon aménagement des lieux s’ajoute à l’application de toutes les règles techniques et mesurables, mais cette disposition est susceptible d’interprétations non uniformes, voire subjectives.

• La définition très rigoureuse du terme « Construction », qui englobe désormais tous les terrains de sport, en ce compris les terrains de padel très perturbateurs de la tranquillité.

• La répartition équilibrée de l’espace ouvert entre les différents modes de transports, en ce que le texte prévoit qu’au moins 50% de l’espace public ouvert, est réservé aux modes actifs, aux transports en commun ou aux aménagements relevant des fonctions environnementales. Mais cet objectif ne pourra être atteint sans dérogations, dans tous les cas de figure, car il faut tenir compte du tissu bâti existant et de la morphologie des voiries : ces objectifs devraient plutôt être affinés au niveau d’une maille ou d’un quartier.

• La nouvelle règle protectrice des espaces verts selon laquelle au moins 75% de la superficie non bâtie du terrain doit être en pleine terre et végétalisée, avec un seuil de 90% au-delà de 37 m dans les îlots présentant une majorité de constructions en mitoyenneté.

• Le renforcement de l’exigence de couverture de la partie du terrain construite uniquement en sous-sol : de minimum 60 cm de substrat végétalisé auparavant à une exigence d’1 m.

• Le resserrement des conditions pour autoriser les démolitions de constructions existantes, incontestablement utile pour éviter la prolifération de promotions peu respectueuses du tissu existant : notamment la prise en compte de la préservation de la qualité architecturale et patrimoniale du bien, sans limiter cette préservation aux seuls immeubles classés ou à l’inventaire.

• Des critères qualitatifs intéressants pour limiter la prolifération incontrôlée de constructions en intérieur d’îlot, bien que ces règles ne soient limitées qu’aux constructions en mitoyenneté, et non applicables aussi aux constructions isolées.

• La préconisation de zones de rencontre dans l’espace public, équipées de bancs et de toi- lettes publiques, et de fontaines à eau potable, en cas de grande fréquentation.

• Et aussi le principe de convertibilité des immeubles à des usages ultérieurs (notamment de la fonction de bureau à celle de logement), la gestion intégrée des eaux de pluie, l’objectif d’embellir la ville et d’accroître sa végétalisation, de contribuer à la continuité des milieux naturels et des paysages, une accessibilité renforcée de l’accès en tout lieu pour les PMR.

Remarques générales

Ne pas confondre un plan stratégique et un règlement
• Si c’est le rôle d’un plan stratégique de définir des objectifs ambitieux, les moyens, et le phasage dans le temps des actions qui en découlent, un règlement est par nature plus directif, plus précis, et définit ce qui est permis, en le distinguant de ce qui ne l’est pas, de manière claire, tant pour les demandeurs, que pour les fonctionnaires qui instruisent les dossiers.

• Beaucoup de termes subjectifs comme « qualité architecturale », « équilibre », « harmonie », « bon aménagement des lieux » laissent trop de place à l’arbitraire pour tous les acteurs : le demandeur-promoteur qui aura tendance à pousser le bouchon avec encore moins de contraintes qu’actuellement, l’administration qui disposera de moins de balises pour réguler les demandes excessives, les riverains qui seront privés de règles claires et équitables pour guider leurs réclamations.

La spéculation foncière va s’engouffrer dans les trop grandes imprécisions des règles.
• Pour les constructions mitoyennes, les profondeurs et hauteurs admissibles sont considérablement plus importantes que dans le RRU actuel.

• Ce sont surtout les normes (ou plutôt l’insuffisance des normes) prévalant en intérieur d’îlot qui sont critiquables. Cela pose un triple problème :

• L’alimentation de la spéculation ;

• L’altération de la légitime quiétude qui devrait prévaloir en intérieur d’îlot (vues plongeantes, bruit…) ;

• La perte de surfaces d’intérieur d’îlot sou- vent plantées, alors que par ailleurs le RRU se targue de respecter le plan climat, de favoriser la biodiversité, de lutter contre les inondations et les îlots de chaleur.

• Cette grande latitude des prescriptions va peut-être diminuer les demandes de dérogations et avoir un effet favorable sur les temps d’instruction des dossiers, mais à quel prix : cela ouvrira la porte à des projets de« villas-appartements », en lieu et place des actuelles maisons unifamiliales, et par division des terrains, à l’invasion des intérieurs d’îlot. Et ce, sans possibilités de recours des riverains devant le Conseil d’État puisque qu’aucune demande de dérogation n’aura été rendue nécessaire par les demandeurs, vu la grande largesse de la réglementation.

Remarques particulières

D’autres dispositions sont à regretter et mériteraient réexamen, soit parce qu’elles apparaissent comme excessives et déraisonnables, soit parce qu’elles sont en régression en termes de protection des espaces ouverts existants, soit parce qu’elles posent des problèmes de compréhension et dès lors d’application concrète en raison de leur caractère trop vague et trop incertain.

L’ACQU demande ainsi le réexamen des dispositions suivantes :
• Il est mentionné l’interdiction du stationnement en épi, à chevron et perpendiculaire à l’axe de la chaussée. Or dans certaines voiries larges, ce stationnement est pourtant spatialement possible et est fréquent, tout en y intégrant des trottoirs de 2m (exemple avenue Van Bever).

• Lorsque le terrain accueille une construction en mitoyenneté, au moins 70% de la superficie de la partie du terrain au-delà d’une profondeur de 37 m est non bâtie. Cette règle devrait être étendue pour toute construction d’intérieur d’îlot, qu’elle soit isolée ou mitoyenne.

• Les terrains non bâtis doivent être fermés à l’alignement, ou au front de bâtisse, par une clôture d’une hauteur minimale de 2 m. dans certains cas énumérés de manière limitative. Pour des raisons de sécurité publique, cette obligation devrait être étendue à tous les terrains non bâtis et à leur fermeture sur tous leurs côtés.

• Les emplacements de parcage pour véhicules automobiles à l’air libre sont interdits dans l’espace ouvert privé. C’est interdire dans les nouvelles constructions tout parking visiteur en surface et, pour des transformations d’im- meubles, le risque de suppression massive des parkings existants. Pour rester raisonnable, il faudrait une règle qui limiterait la surface que peuvent occuper les emplacements de parcage à l’air libre à un pourcentage maximum de la superficie totale du terrain, tout en ayant bien entendu justifié les raisons de non-réalisation de ces parkings en sous-sols.

• Le critère pour apprécier la densité de construction induite par un nouveau projet im- mobilier est celui, beaucoup trop vague, de « la densité du contexte environnant pertinent ». Le contexte environnant étant lui-même défini comme l’ « ensemble des éléments bâtis et non bâtis constituant le cadre de référence existant situés à proximité d’une construction » : le RRU nouveau devrait préciser quelles parcelles doivent entrer en ligne de compte pour fixer le cadre de référence (comme c’est le cas dans le RRU actuel).

• Toute construction nouvelle en intérieur d’îlot (affectée, en tout ou en partie, au logement et/ou au bureau) devra être implantée à une distance minimale de 20 m. par rapport à la façade arrière de la construction à rue, avec diminution de cette exigence à 10 m. lorsque l’on veut rénover un logement dans une construction existante. Mais nous estimons que cette distance minimale de 20 m. doit prévaloir également entre cette construction d’intérieur d’îlot et les bâtiments existants des parcelles contiguës, sauf en cas de mitoyenneté d’intérieur d’îlot.

• Nous regrettons l’abandon de la règle protectrice essentielle existante qui veut que les constructions nouvelles ne puissent dépasser la profondeur du profil mitoyen de la construction voisine la plus profonde (art. 4 RRU existant). Le RRU en projet y substitue une règle beaucoup moins protectrice qui se contente de prévoir, qu’outre une limite maximale de 17m. à partir de l’alignement ou du front des bâtisses, les constructions pourront désormais dépasser de 3 m. la profondeur de la ou des constructions voisines et que par ailleurs ce dépassement pourra même excéder les 3 m. au-delà d’une largeur de 3 m. par rapport à la limite mitoyenne de la ou des constructions voisines. C’est une sensible régression par rapport aux règles existantes, sachant que plus grandes seront les profondeurs autorisées, plus réduites seront les zones de jardin et de pleine terre.

• La limitation des nouvelles constructions en hauteur ne s’appliquera désormais qu’aux seules constructions en mitoyenneté, et non plus, comme dans le régime existant, également aux constructions isolées. Il y a là une régression qui résultera en une nouvelle densification du bâti, et qui en outre altérera l’harmonie et les perspectives visuelles. Nous relevons que la nouvelle construction peut s’établir jusqu’à 6 m. au-dessus de la construction mitoyenne la plus basse. En outre, la limite générale ancienne, qui voulait que les constructions nouvelles ne pouvaient dépasser la hauteur du profil moyen de la toiture de la construction voisine la plus élevée, n’est maintenue désormais que sur une largeur minimale de 6 m. par rapport à chaque limite mitoyenne. Une tolérance supplémentaire est introduite pour une rehausse admissible de 3,50 m. par rapport à la hauteur du profil moyen de la toiture de la construction voisine la plus élevée, s’il s’agit de construire un étage supplémentaire et que celui-ci est en retrait d’au moins 3 m. par rapport aux façades avant et arrière. Toutes ces régressions par rapport au régime existant auront pour effet d’augmenter les disparités en hauteur, les héberges et les pignons aveugles, alors que l’objectif avancé du nouveau RRU prône une « densité maîtrisée et respectueuse de la typologie des quartiers ».

• Pour les constructions isolées, trop de marges d’appréciation sont laissées à l’arbitraire des promoteurs, tant au niveau du respect des limites (distances appropriées...), que de l’emprise et de la hauteur (constructions environnantes). Nous estimons qu’en intérieur d’îlot, pour les quartiers moins denses de deuxième couronne, les hauteurs admissibles ne devraient pas dépasser le rez+1, sous peine d’atteinte grave à la quiétude des jardins riverains et de multiplier les vues droites et obliques en intérieur d’îlot.

• Une nouvelle règle est introduite qui interdira désormais la création d’un accès pour voiture en façade à rue lorsque la largeur de cette façade est inférieure à 8 m. C’est pénaliser injustement les propriétaires de petites maisons qui supportent une entrée de garage au rez-de-chaussée, tout en rejetant les voitures de ces propriétaires dans l’espace public, ce que l’on veut précisément éviter par ailleurs.

• Il est désormais précisé, contrairement à la règle existante, que les cabanons techniques et d’accès à la toiture peuvent dépasser la hauteur maximale de la construction pour autant qu’ils soient intégrés harmonieusement à la toiture de manière à limiter leur impact visuel. Cette régression par rapport au régime existant n’est pas justifiée sur le plan de l’embellissement de la ville et de la mise en valeur des perspectives urbaines.

• En matière d’emplacements de parcage pour véhicules automobiles, il est précisé que le nombre d’emplacements est déterminé moyennant une proposition motivée du demandeur, alors que le texte précise bien les nombres minima de parcage pour vélos, libérant ainsi la voie publique. Cette carence va à contre-courant de l’objectif de libérer l’espace ouvert public du stationnement des véhicules automobiles afin de permettre notamment des plantations et les modes actifs. S’il existe des situations particulières (logement social, logement étudiant …) pour lesquelles ces normes minima devraient être assouplies, cela devrait pouvoir être plaidé par le demandeur, via une demande de dérogation.

• Des articles présents dans le RRU de 2006 ont disparu de cette version révisée : il s’agit notamment de l’obligation pour tout immeuble d’au moins 30 logements d’intégrer 20 % de logements sociaux et moyens. Il s’agit pourtant d’une règle efficace pour encourager la promotion du logement social, et sa diffusion dans les quartiers résidentiels pour éviter la formation de ghettos. Nous demandons la réintroduction de ces articles, car ils constituent une réponse à des besoins régionaux fondamentaux et favorisent la mixité, l’insertion et le vivre ensemble.

Conclusions

L’ACQU partage l’avis du Conseil communal d’Uccle qui :
• Relève la nécessité de tenir compte des nouvelles préoccupations environnementales et souligne l’apport de ces notions dans le RRU ;

• Considère qu’il faut néanmoins disposer de règles claires et précises, non contradictoires, non interprétables afin d’assurer la sécurité juridique des permis délivrés, et qu’en l’état le projet de RRU Good Living est considéré comme un règlement très difficilement applicable sur de nombreux points par les différents services communaux concernés ;

• Décide d’émettre un avis défavorable sur le projet de nouveau RRU, vu l’insécurité juridique qu’il génère et les difficultés d’application qui s’ensuivent, tant pour les auteurs de projet que pour les autorités compétentes.

L’ACQU considère que la fonction première du RRU est de fournir un cadre normatif assurant la poursuite des objectifs d’aménagement du territoire définis dans le Plan Régional de Développement. La clarté, la lisibilité de ces règles est fondamentale pour toutes les parties prenantes (habitants, promoteurs, administrations). Les éventuelles dérogations, à n’accorder que « d’une main tremblante », doivent être minimales, dûment justifiées et faire l’objet d’un contrôle démocratique.

Nous demandons un texte qui intègre effectivement les nouvelles politiques régionales, tout en ne profitant pas de l’occasion pour introduire du laxisme dans le cadre normatif , mais au contraire de bien mûrir et définir les balises nouvelles.

Pour l’ACQU Jean Paul Wouters, administrateur
28 avril 2024