Bruxelles aspire à devenir une ville plus agréable à vivre
et plus respirable. Evoquer les enjeux de la mobilité dans
notre ville ne peut se faire sans partir d’abord de cette
prémisse et des conséquences qu’elle a sur la politique
de transport, au sens strict, et sur l’aménagement du
territoire, qui lui est intimement lié.
Ainsi, faire de l’espace public, dans une ville en voie
de densification, un espace de séjour qui prolonge le
logement est une revendication qui a fait son chemin
pour améliorer la qualité de la vie urbaine. Largement
médiatisée grâce aux « picnic the streets », cette idée,
qui remonte au moins aux années 1980 [1], s’inscrit dans
le prolongement des revendications qui s’étaient faites
jour, il y a plus de dix ans, autour du réaménagement
de la place Flagey. Elle a déjà trouvé diverses concrétisations
aux différents coins de la Région, que ce soit à
petite (par exemple, le parvis Saint-Antoine à Forest) ou
grande échelle (place Cardinal Mercier à Jette).
Mais considérer que, pour libérer l’espace public des
voitures, il faut nécessairement compenser les places
de stationnement perdues par la création d’un nombre
équivalent, voire plus élevé, de places dans de nouveaux
parkings est un très mauvais signal dans un contexte
où nous devenons de plus en plus "multimodaux".
Aujourd’hui en effet, plus de deux tiers des Bruxellois
utilisent une combinaison de moyens pour se déplacer,
que ce soit à l’intérieur d’un même déplacement ou sur
l’ensemble des déplacements réalisés sur une semaine
(et, sur ces deux tiers, un peu moins de la moitié sans
même que la voiture fasse partie des modes utilisés).
Dans les années 1960, on concevait les piétonniers avant
tout comme des espaces commerciaux qu’il fallait pouvoir
rejoindre exclusivement en voiture, ce qui justifiait
la création de parkings [2]
Aujourd’hui, la réduction de
la motorisation des ménages est déjà une réalité (35%
des ménages bruxellois ne possèdent pas de voiture,
soit 3 points de pourcent en plus que dix ans auparavant)
et doit devenir un objectif politique majeur
pour diminuer la saturation des espaces publics par
des voitures en stationnement. Ce qui ne veut pas dire
que l’on doive nécessairement se passer, tous et tout le
temps, d’automobile mais qu’on soit moins nombreux
à en posséder une et que celles qui subsistent soient
utilisées par davantage d’utilisateurs. Il faut savoir en effet que, sur sa durée de vie totale, une voiture est
en stationnement en moyenne plus de 95% du temps.
L’autopartage entre particuliers, rendue plus facile
grâce aux nouvelles technologies, est une pratique collaborative
d’avenir [3] qui devrait être soutenue par les
pouvoirs publics à Bruxelles.
Pour rendre Bruxelles plus respirable, et donc plus
agréable, il faudra aussi y réduire la concentration de
particules fines et de divers polluants atmosphériques.
Il y a deux moyens pour cela : diminuer le nombre de
véhicules en circulation en ville et agir sur l’état du parc
automobile. En ce qui concerne le premier moyen, on
a vu la levée de boucliers qu’a suscitée la perspective
de tarifer l’usage de la route que ce soit par un péage
urbain ou une taxe au kilomètre. Quant aux mesures
qui, comme dans les villes allemandes, par exemple,
interdisent dorénavant l’accès aux véhicules les plus
polluants, elles tardent à venir à Bruxelles, par crainte
notamment de pénaliser les populations plus faibles
socio-économiquement. Mais, comme le dit Enrique
Penalosa, l’ancien maire de Bogota, une ville prospère
n’est pas une ville où même les pauvres sont obligés de
rouler en voiture, mais une ville où les riches aussi se
déplacent en transports publics et utilisent les modes
actifs.
L’enjeu est donc d’augmenter le recours aux modes
alternatifs à la voiture, tant pour les déplacements
intrabruxellois qu’entrants et sortants. Pour ce faire,
il faut s’attaquer aux causes qui ont produit les problèmes
de mobilité que nous connaissons aujourd’hui,
à savoir l’étalement urbain et la dispersion de l’habitat,
rendus possibles après guerre par la large diffusion de
l’automobile. Les Flamands et les Wallons devront donc
recréer de la densité - et pas seulement des parkings
de dissuasion - autour des "pôles intermodaux" que
seront notamment les gares RER (mais bientôt aussi, par
exemple, les arrêts de tram du futur Brabantnet de De
Lijn), pour réduire les distances parcourues en voiture
et être en mesure de proposer une offre alternative aux
usagers. A Bruxelles aussi, le Projet de Plan de développement
durable insiste pour que les nouveaux projets
urbains se fassent en priorité autour des noeuds de
transport d’une ville qui devrait devenir polycentrique.
Bref, plus que jamais, politique de mobilité et aménagement
du territoire devront s’articuler.
Enfin, il faudra s’assurer que les grands travaux d’infrastructure
de transport public (métro nord, etc.), censés
améliorer l’offre de moyens alternatifs, ne nous mènent
pas à une impasse, tant en termes de délai de réalisation
que de financement, par rapport à des solutions moins
coûteuses et plus rapides, mais plus radicales, qui donneraient
la priorité au transport de surface. Sans oublier
qu’augmenter la capacité des espaces de circulation
pour la marche (devenu le premier mode de déplacement
à Bruxelles) et poursuivre les investissements dans
le vélo (en mouvement et en stationnement) devront
rester une priorité.
Inventer la ville de demain [4] : c’est ce à quoi nous invitent
les problèmes de mobilité d’aujourd’hui.
M. Hubert [5]