Article paru dans la Lettre aux habitants n° 60, juin 2009.
L’arrivée d’une ligne de métro à Uccle est de plus en plus souvent envisagée. La Stib l’envisage dans ses plans de développement. Le plan régional de circulation « IRIS 2 » (présenté dans la Lettre aux Habitants n°58) prévoit son extension vers Calevoet, et, vu les élections régionales imminentes, les candidats de différents partis l’évoquent et le demandent de manière plus ou moins claire selon différentes options.
Le métro, lourd par ses infrastructures et par son coût financier, est-il « la » solution qui sauvera Bruxelles de la paralysie de ses déplacements ? On peut en douter.
L’article qui suit a été écrit par une spécialiste en la matière, qui a à son actif plusieurs études sur la problématique des déplacements urbains à Bruxelles. Il apporte un éclairage pertinent sur la question. Cet article a paru dans Bruxelles en mouvements du 6 février 2009, périodique édité par Inter-Environnement Bruxelles et est ici reproduit avec son accord :
La question de l’extension du réseau de métro, de nouveau à l’ordre du jour dans le projet de plan IRIS 2 , divise les Bruxellois. Pourtant, la Stib et d’autres responsables politiques certifient qu’il n’y a pas d’autres solutions pour Bruxelles si on veut à l’avenir répondre à l’augmentation de la demande. Qu’en est-il exactement ?
Certains voient dans l’extension du métro une réponse au problème de mobilité en développant sur certains tronçons un moyen de déplacement rapide, régulier et fréquent. D’autres y sont opposés, vu son coût très élevé pour une desserte limitée.
Le métro est un mode de transport public, de capacité élevée circulant sur un site indépendant, souvent souterrain. Il sert à transporter des grandes quantités de passagers (coût d’exploitation optimal à partir de 8500 passagers à l’heure de pointe). Il est parfois aussi plébiscité pour des motifs hors champ de la planification des transports collectifs comme :
– faire moderne (club des villes ayant un métro) ;
– céder aux lobbies de la construction ;
– soutenir l’emploi dans la construction (politique keynésienne) ;
– faire de la place pour la voiture en surface.
La quantité de personnes à transporter sur un axe donné dépend de trois principaux facteurs :
– l’étendue de la ville ;
– les densités (de logements, d’emplois) et la localisation des grands équipements ;
– une part modale du transport public élevé.
Il faut également tenir compte des « transhumances » entre gares et bureaux ou grands équipements, ainsi que de l’efficacité et de la forme du réseau de surface (rabattements sur le métro).
Qu’en est-il de ces trois facteurs dans l’agglomération bruxelloise ? Son étendue est assez limitée, sa densité atteint seulement un peu plus de la moitié de celle de Paris, et sa part modale de transport public est assez faible. Or, seul ce troisième élément est variable, les deux autres étant fixes à moyen terme.
En fonction de quoi cette part modale évolue-t-elle ? Une récente étude nous rappelle que dans de nombreuses villes : « Les pouvoirs publics n’estiment pas devoir réguler les répartitions modales, mais juste fixer des objectifs raisonnables en restant prisonniers des comportements actuels et libres des individus ». Cette attitude des pouvoirs publics émane d’une vision classique du transfert modal où le choix d’un mode de transport se ferait uniquement en fonction du temps de déplacement.
Or, l’étude nous rappelle que la part modale varie aussi en fonction d’autres critères indépendants (avoir un emplacement de parking à destination,...) et subjectifs (bulle automobile, individualisme...). Ainsi, créer une ligne de métro ne garantit pas de capter automatiquement de nombreux automobilistes, expliquent les auteurs de l’étude. Si une telle ligne devait se créer, elle devrait, pour Inter-Environnement Bruxelles (IEB), s’accompagner au minimum d’une réduction de la part de la voiture en surface, voire d’un péage urbain incitant les automobilistes à chercher une alternative à la voiture individuelle.
En supposant que, du fait d’une politique coercitive, la part modale en transport public augmente jusqu’à atteindre 40% (contre +/- 30% aujourd’hui) voire même 60% des déplacements motorisés, Frédéric DOBRUZKES et Thierry DUQUENNE ont démontré en 2004 qu’un réseau organisé autour de la création de 17 lignes de tramway rapides (s’appuyant en partie sur le réseau actuel revalorisé) pouvait absorber cette augmentation et cela (dixit) pour un coût d’investissement équivalent à la création d’une ou deux lignes de métro souterrain !
Cette solution a l’avantage non négligeable de proposer un maillage de transports en commun beaucoup plus fin qu’une ligne de métro, ainsi qu’une solution de surface plutôt que souterraine (meilleure accessibilité des arrêts, vision de la ville, redistribution de l’espace,...). L’étude mériterait cependant un approfondissement, car le prix d’une ligne de métro n’est pas forcément le même que celui de deux lignes, ainsi qu’une actualisation des données. Rappelons par ailleurs que le RER complétera bientôt l’offre de transport public existante en Région bruxelloise.
IEB pense que le transport public ne doit pas être le seul à absorber le transfert modal venant des automobilistes. La marche à pied et le vélo sont des modes alternatifs, 100% écologiques, qui devraient remplacer des courts déplacements en voiture mais aussi en transport public (excepté pour les PMR,...), permettant ainsi de réserver le transport public aux distances plus longues, sans devoir augmenter massivement ses capacités. Rappelons qu’en Région bruxelloise, un déplacement sur quatre fait moins d’un kilomètre, et deux sur trois moins de cinq, soit un potentiel de transfert modal très élevé vers les modes « doux ».
Si l’étude ne nous dit pas quel serait le potentiel de transfert modal depuis les transports en commun vers la marche ou le vélo, cette option ouvre la voie à un véritable changement de paradigme en matière de mobilité urbaine. Et, naturellement, l’usager pourrait être amené à privilégier d’abord la marche à pied pour les courtes distances, puis le vélo pour les moyennes distances, et enfin les transports en commun pour les distances plus longues, le tout en surface, occupant l’espace dégagé par la voiture, et dégageant des marges non négligeables de capacités pour les transports publics existants.
Voilà un cercle vertueux qui nous fait penser que le métro n’est peut-être pas la solution incontournable pour répondre à la demande, mais uniquement un choix politique parmi d’autres possibilités qui contribueraient sans doute davantage à la ville durable.
Marie-Claire SCHMITZ