MENACES SUR LE CHAMP LE LONG DE LA CHAUSSÉE DE SAINT-JOB
1. Introduction
La dernière véritable terre agricole uccloise, située
le long de la chaussée de Saint-Job et de la
rue du Château d’Eau, est un rectangle d’environ
60m de large sur 150m de long. Propriété de la
société immobilière Evillas s.a., elle fait l’objet
d’une demande de permis de lotir portant sur la
construction de pas moins de 9 immeubles, comprenant
34 appartements de haut standing et près
de 56 places de parking.
Ce champ, alternativement de maïs ou de blé
suivant l’inspiration et les semis de l’agriculteur
qui le loue, longe la vieille rue du Château d’Eau,
formant un ensemble bucolique et hors du temps
tout à fait surprenant en pleine ville. Ce vieux
chemin, creux et pavé, a été classé au patrimoine
pour ses valeurs paysagères et historiques, indissociables
de la présence de cette terre agricole
qui le longe. Il participe ainsi à la beauté, l’identité
et l’attrait de ce quartier sur le coteau ensoleillé
du Geleytsbeek.
L’enquête publique sur ce projet s’est terminée
le 14 juillet 2016 (durant les grandes vacances,
rendant la mobilisation difficile…). Malgré cela,
plusieurs dizaines de courriers ont été transmis à
l’Urbanisme pour marquer l’opposition à ce projet
totalement disproportionné, inadapté, destructeur
pour le quartier… et en un mot : mauvais !
Une Commission de concertation se réunit à Uccle
(le 7 septembre 2016) pour débattre, en présence
des parties concernées, de la validité et de l’impact
de ce projet et remettre un avis. Sur base de
cet avis, suivi par celui du Collège communal, le
fonctionnaire délégué de la Région bruxelloise
accordera ou refusera le permis pour la construction
de ce lotissement. La sentence ne devrait
plus tarder à tomber… et nous craignons que les
enjeux économiques et la volonté de croissance et
de densification urbanistiques prévalent une fois
de plus, sans tenir compte des nombreux impacts
négatifs de ce projet et de la destruction d’un
cadre de vie pour le moins exceptionnel.
2. Uccle bucolique et champêtre.
Historique et évolution de la zone
Si Bruxelles est une ville millénaire, elle fut longtemps
cantonnée dans sa première et ensuite seconde
enceinte (le Pentagone), siège de l’activité
économique, mais où vivaient aussi les habitants,
et se concentrait donc l’urbanisation. Ce n’est
qu’à partir de la seconde moitié du 19e siècle (avec
l’essor des transports, dont le chemin de fer)
que certaines villas se sont implantées dans les
communes de la seconde couronne, telles que lacommune d’Uccle. Cette « mise au vert » offrait à la bourgeoise de l’époque un cadre plus reposant, de l’espace et un certain recul par rapport à l’agitation
du centre de la ville.
Vue aérienne du champ, avec en rouge le tracé de la
parcelle appartenant au lotisseur (source : Google).
Un siècle plus tard, ce même processus se reproduira
avec la migration (de jeunes familles
notamment) vers la périphérie bruxelloise, à la
recherche du calme et d’un cadre plus champêtre.
Sur la carte établie en 1757 par Everaert, on
constate qu’Uccle n’était pas une zone forestière
mais bien une vaste terre agricole où se côtoyaient
prairies, champs et vergers, permettant de nourrir
la ville dans une logique de circuit court, qui est
redevenue aujourd’hui à la mode.
Un zoom sur cette carte révèle que la parcelle
longeant la chaussée de Saint-Job était déjà
un champ à l’époque. Quant à la vieille rue du
Château d’Eau, les historiens la font remonter à
l’époque protohistorique, époque où ce sentier de
terre était emprunté par les Gaulois !
La protection d’un « simple » champ n’est pas
prioritaire pour les autorités en charge du patrimoine
à Bruxelles et il n’existe aucun cas de
classement d’une terre agricole, à notre connaissance.
Pourtant, au vu de son aspect exceptionnel
(témoin unique à Uccle, voire même en Région
bruxelloise) et de sa valeur historique comme
témoin du passé champêtre de notre commune,
une telle protection aurait tout son sens.
Avec l’urbanisation de cette dernière parcelle,
c’est une part de notre histoire qui disparaîtra
sous des mètres cubes de béton.
3. Un lotissement légal…
mais inadapté et nocif !
Le rapport d’incidence commandé par le lotisseur
minimise totalement l’impact et les effets
potentiellement désastreux d’un tel ensemble de
constructions. Nous avons relevé en particulier les
éléments suivants qui nous permettent d’affirmer
que ce projet ne convient pas du tout et qu’il est
nocif pour ce quartier.
Nature du bâti proposé et emprise
au sol du futur projet
– Le projet de bâti rompt radicalement avec les
constructions du côté pair de la chaussée de
Saint-Job et de la rue du Château d’Eau, à savoir
des maisons unifamiliales de faible hauteur. La
pente marquée du terrain (10 % de montée vers
le Dieweg) accentue cet effet de hauteur depuis
la chaussée.
– La densité de bâti sur la partie constructible du
terrain présente une emprise au sol disproportionnée,
en ne laissant pratiquement aucune
place aux jardins ni, de manière générale, aux
zones non-bétonnées. Là où le projet ne prévoit
pas de construction, il laisse des espaces qui ne
manqueront pas d’être occupés par la voirie et
les voitures.
Carte d‘Everaert (1757) illustrant l’aspect agricole de la
commune où figurent déjà la vieille rue du Château d’eau et le
champ le long de la chaussée de Saint-Job.
Forte incidence sur le site classé
et sur l’environnement
– La rue classée qui longe le terrain sera totalement
dénaturée par ces immeubles. Or, toute
urbanisation dans cette zone doit respecter cet
ensemble unique (comme le prévoit l’arrêté de
classement du site - mars 2003). Les dix mètres
de recul au-delà de la zone classée constituent
une zone de protection et devraient selon nous
être protégés également. Toute urbanisation
devrait y être exclue.
– La rue du Château d’Eau est classée tout à la fois
pour sa valeur, mais aussi sa qualité paysagère.
La construction de « blocs » de bétons massifs
à moins d’1 m de la bordure de la zone classée
constitue une atteinte majeure à la valeur paysagère
et au caractère champêtre mis en exergue
par ce statut de protection.
Mobilité
– Le trafic sur la chaussée de Saint-Job est aujourd’hui
totalement saturé aux heures de pointe.
Tout surplus de maisons (et donc de voitures) ne
fera qu’aggraver le problème.
– Ce projet de lotissement augmentera la pression
automobile dans tout le quartier, rejetant
un nombre croissant de voitures sur la rue du
Château d’Eau elle-même. Or cette très vieille
voirie pavée est fragile et ne peut accueillir que
les rares voitures de ses habitants.
– La construction de 3 villas le long de la rue du
Château d’Eau (débutée en 2015 et abandonnée
depuis de longs mois), en face du champ, a déjà
engendré des dégâts sur la rue pavée durant la
phase des travaux. Des problèmes de mobilité
insurmontables dans tout le quartier seront induits
par le charroi de camions et autres engins
de chantier. On n’ose imaginer les conséquences
de travaux dix fois plus importants pour urbaniser
le champ !
Gestion de l’eau et inondations
– La construction sur ce champ s’accompagne
d’une imperméabilisation sur la quasi-totalité
de la zone à bâtir : les eaux seront collectées
et renvoyées à l’égout (chaussée de Saint-Job).
Cette gestion des eaux de toiture et de ruissellement
en mode « tout à l’égout » est en totale
contradiction avec les systèmes séparatifs mis
en place en Région bruxelloise et dans la commune
d’Uccle (sous l’impulsion de l’Echevinat de
l’Urbanisme).
– Vu la forte pente du terrain (10 %), une urbanisation
massive augmenterait considérablement les
ruissellements en direction de la chaussée de
Saint-Job, avec des conséquences importantes
(jusqu’à la Plaine du Bourdon !) sur l’occurrence
et l’importance des inondations dans tout le fond
d’une vallée déjà régulièrement impactée par
les crues. Le projet ne fournit pas d’informations
suffisantes sur la gestion de ces eaux et
les risques d’inondations qu’un tel lotissement
entraînerait.
L’aspect bucolique remarquable du vieux chemin pavé est lié à
la présence de cette terre agricole qui le longe (oct. 2014).
Une base de calcul erronée
Du point de vue purement« mathématique » et
comptable, le projet respecte les prescrits du
Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS 29 bis
Clippeveld – revu en juillet 2007) en termes de
rapport Plancher/Sol (un rapport entre m² de
construction par rapport à la surface totale de la
parcelle, qui ne peut dépasser 0,38). Ceci tient à la
taille exceptionnelle de la parcelle appartenant au
propriétaire.
Le lotisseur inclut dans son calcul les parties de
son terrain qui figurent en zone verte (le bois en
amont) et les 10 m de la zone classée longeant rue
du Château d’Eau pour augmenter au maximum
le nombre de m² qu’il estime pouvoir lotir dans la
zone constructible. Ceci lui permet d’ériger des
immeubles beaucoup plus hauts et denses. Cette
manière de procéder va à l’encontre même du
principe et de l’objectif du PPAS qui doit garantir,
pour cette zone, un habitat dispersé et moins
dense (zone d’habitat dans la verdure au PPAS), ce
qui n’est pas du tout le cas pour ce projet.
Nous insistons pour que le ratio P/S ne soit calculé
QUE sur la zone effectivement urbanisable
de la parcelle afin d’aboutir à un « habitat dans la
verdure » comme le prévoit le plan.
4. Une mobilisation citoyenne
longue et difficile
Il y a plus de 20 ans, des habitants du Dieweg
et de la rue du Château d’Eau ont défendu la
conservation du patrimoine et de leur cadre de
vie en entamant la longue et difficile procédure de
classement pour la partie pavée de la vieille rue
du Château d’Eau. Dédé Speetjens fut la principale
force motrice derrière toutes ces démarches,
courriers, rencontres officielles et dossiers remplissant
plusieurs classeurs….
En mars 2003, après près de 10 ans de procédure,
un arrêté de classement a été pris pour ce vieux
chemin par le Gouvernement bruxellois, grâce
à l’acharnement et au caractère visionnaire des
habitants qui menèrent cette action. La zone classée
concerne non seulement la rue du Château
d’Eau mais aussi une bande de 10 m de part et
d’autre de celle-ci, à laquelle l’arrêté a ajouté
10 m supplémentaires, correspondant à une zone
de protection censée garantir l’intérêt et la valeur
du site classé.
Or, les constructions prévues par le lotisseur
viennent à ras de la zone classée et empiètent
allègrement sur cette zone de protection !
Depuis presque aussi longtemps, des projets de
lotissement voient le jour de manière périodique
et sont soumis à l’enquête publique et à l’avis de lapopulation et des autorités. Les avis négatifs ont
bloqué l’octroi d’un permis… jusqu’en août 2013,
où le Fonctionnaire délégué de la Région bruxelloise
avait délivré le permis de lotir contre les avis
négatifs unanimes des différentes instances officielles
consultées ! Un recours au Conseil d’Etat
(dernière possibilité pour casser ce permis) fut introduit
(par les riverains et par la Commune) pour
bloquer ce très mauvais projet. Après quelques
« passes d’armes », la société Evillas retira finalement
son projet et abandonna son permis vu les
arguments rassemblés contre celui-ci.
Extrait du PPAS avec report de la zone classée et zone légale de protection + délimitation de la parcelle totale (2,5 fois plus étendue que la zone effectivement urbanisable (figurant en rouge).
La victoire fut belle, mais de courte durée ! Dès
janvier 2015, une nouvelle demande était déposéepar
le lotisseur. Formulée de manière légèrement
différente et offrant quelques précisions quant à
la nouvelle voirie et à sa forme, ce nouveau projet
n’offre que des changements cosmétiques par
rapport au dossier abandonné quelques années
plus tôt. La philosophie générale reste la même,
avec 9 blocs immeubles massifs et trop hauts et
une densité maximale basée sur la taille de la
parcelle.
Dès juin 2016, plusieurs comités de quartier se
sont associés pour alerter la population durant
cette période de vacances où la mobilisation est
très ardue. Lancée le 10 juillet 2016, une pétition en
ligne contre ce projet démesuré a déjà rassemblé
plus de 700 signatures. 65 % sont celles d’Ucclois
(répartis sur toute la Commune), les autres provenant
en grande partie d’autres communes bruxelloises,
démontrant que le devenir de ce champ
ne se limite pas à une problématique locale mais
qu’il s’agit bien d’une question concernant Uccle
dans son ensemble, voire même toute la Région
bruxelloise. Certains signataires ont également
laissé un commentaire à propos de ce champ et
du projet de construction. Nous en reproduisons
quelques-uns ci-dessous, qui donnent la pleine
mesure de l’attachement des habitants à ce dernier
témoin champêtre dans notre commune.
5. Conclusion
Quand vous lirez ces lignes, les décisions concernant
le permis et l’avenir du champ de Saint-Job
devraient être prises.
Nous espérons une issue positive et un refus pour
ce projet de lotissement. Le propriétaire/lotisseur
a un plan bien précis, ses projets successifs soumis
à l’enquête publique sont quasi identiques,
imposant chaque fois une même densité et un
gabarit d’immeubles, incompatibles avec le cadre
et l’habitat constitué de petites maisons unifamiliales
sur ce versant de la chaussée de Saint-Job.
A moins de changer les règles et le PPAS (pour
empêcher une telle densification urbanistique),
voire de protéger ou de faire classer une partie
ou la totalité du champ, la « bétonisation » de
cette dernière terre agricole restera une menace
constante pesant sur cette terre. Protéger une
« simple surface agricole » peut paraître incongru
et éloigné des préoccupations de la Commission
Royale des Monuments et Sites. Pourtant, à bien
y réfléchir, cette zone champêtre est un témoin
unique du passé campagnard de notre commune,
qui, à ce titre (outre le plaisir et l’attrait paysager
pour les riverains et les simples promeneurs),
mérite toute notre considération ainsi qu’une protection
et des mesures pour la pérenniser.
Le lotissement de cette terre agricole a ceci de
redoutable qu’il est totalement irréversible. Une
fois construit, plus jamais il n’y aura de champ à
cet endroit, ni dans le reste de la commune. Ces
9 blocs d’appartements viendront s’ajouter à la
quinzaine de projets de lotissements en cours
ou à l’étude dans le S-E d’Uccle, au nom de la
densification urbanistique et du besoin de logements.
Cette « chasse » aux derniers terrains non
bâtis participe d’une volonté de rentabilité à court
terme, qui nous est assénée comme un credo et
auquelil est difficile de voir une fin, ou une finalité.
Il est aujourd’hui évident que les effets cumulés de
ces nouvelles constructions pèseront lourdement
sur la qualité de vie dans nos quartiers. Ils seront
à coup sûr à l’origine de nouvelles contraintes en
termes de mobilité, d’inondations et de gestion
des eaux, de pollution sonore et atmosphérique
ou de réduction des espaces verts. De telles
constructions porteront atteinte irrémédiablement
à l’attrait et au charme que présentait une
commune telle que Uccle.
Nous rappelons à nos représentants politiques,
et aux personnes en charge de ce dossier, l’adage
suivant s’appliquant parfaitement à la gestion du
territoire et de nos derniers espaces non bâtis
« gouverner c’est prévoir ».
02 septembre 2016 - G. Michel
Comité de Quartier
Calevoet – Bourdon