METRO OU PAS METRO ?

Aujourd’hui, alors que les permis pour la métroïsation de la station Albert et pour la réalisation de la station Toots Thielemans sont dans la poche de la STIB, le débat pour ou contre l’extension du Métro bruxellois refait surface.

Raisons politiques, environnementales ou économiques, un panel d’arguments est brandi, chacun tire la couverture dans son camp pour conforter sa conviction.

Pourtant certains arguments se recoupent et les « pour » ou « contre » le métro semblent accorder leur violon sur certains points :

  • la mobilité est devenue un réel problème, or nos activités et nos attentes contemporaines nous demandent de bouger, la cause environnementale est aujourd’hui de tous les discours, le réchauffement climatique se rappelle à nous tous les jours, il faut trouver des solutions.
  • un autre fil conducteur semble se dégager : la conviction que ce sont les transports en commun, et bien sûr la mobilité douce qui sont l’avenir et qu’il faut privilégier.

A priori un métro est un mode de transport performant, on le voit dans d’autres capitales, cela facilite les déplacements, c’est bon pour l’économie. Mais a-t-on encore l’argent nécessaire ? Argent qui ne pourra servir à des fins sociales alors qu’il y a de plus en plus de pauvreté, à des fins culturelles alors qu’on asphyxie déjà ce secteur qui est littéralement vital …

Par ailleurs, la rentabilité ne peut être négligée ; certes, il ne s’agit pas de gagner de l’argent, mais il ne faudrait pas en perdre année après année par manque d’utilisateurs, ni même dépenser 2 milliards d’euros pour avoir une toute petite amélioration de la mobilité. Comment se positionner sur l’échiquier ?

Récapitulons les principaux arguments repris par les uns et les autres pour ou contre l’extension du Métro à Bruxelles et notamment à Uccle.

Les arguments :

En faveur du métro :

EFFICACITE

  • rapide, indépendant des aléas de surface, efficace
  • solution d’avenir

MOBILITE

  • solution contre les embouteillages car tout le monde ne peut pas prendre le tram ni le vélo pour ses déplacements.
  • permet de se confronter aux prévisions pour 2040 qui prévoient encore le doublement du nombre de déplacements.
  • indispensable pour résoudre un manque de capacité dans l’axe Nord-Midi à l’horizon 2040.
  • dégagera les rues d’un intense trafic automobile. Au cours des quinze dernières années, les autorités de la capitale ont privilégié des solutions de “surface” (tram, bus). Sans succès puisque, au contraire, la ville n’a cessé de s’ankyloser.
  • offrira un transport public de qualité

COÛT

  • investissement important mais solide et qui surtout permettra de déplacer beaucoup de personnes à faible coût pendant longtemps
  • durée de vie très longue pour une rame de métro (40 ans) par rapport à un bus (10 ans).
  • transporte mille personnes pour le salaire d’un seul conducteur (voire même d’aucun conducteur en cas d’automatisation), tandis qu’un bus ne transporte que 60 personnes pour le même prix.

PROJECTION DANS LA VILLE FUTURE

  • dépasse le cadre restreint de l’optimisation de la ville dans son fonctionnement actuel, et nécessite de se projeter à un horizon (2025, 2040) compatible avec la durée de vie de cet investissement : nouveaux pôles de développement socio-économiques, demande de mobilité moyenne de chaque individu augmentée en raison de la croissance de la palette des activités.
  • répond à l’ambition d’une ville européenne du futur, de la capitale européenne internationale : Bruxelles doit construire un métro à la hauteur de ses ambitions.

QUALITE DE VIE/USAGE

  • les ruptures de charge constituent un mal nécessaire, il faut s’attacher à les organiser de manière confortable.

A Uccle en particulier :

TRACÉ

  • Reliera Uccle au réseau de Métro.

DEMANDE/RENTABILITE

  • la densification du territoire ucclois nécessite une connexion au réseau très efficace. Elle sera très utile dans le futur.

En défaveur du métro :

EFFICACITE

  • les trams de surface en site propre ont un réel potentiel et peuvent être aussi performants que le métro

MOBILITE

  • soutien du tout à l’automobile qui est une option dépassée, et qui de toute façon devra être limitée pour des raisons de santé publique, d’environnement, de mobilité.
    Le métro libère de l’espace public pour les voitures : « Circulez en dessous, plutôt que d’être bloqués au-dessus ».
  • permet au politique, pour un coût exorbitant que paye le citoyen, de ne pas prendre les mesures (peu populaires) qui amélioreraient la mobilité en surface. Il constitue un facteur d’inertie : rien n’est fait pour améliorer les conditions de circulation des transports en commun en surface puisqu’une
  • « solution miracle » est annoncée. En attendant, les embouteillages sont légion et trams et bus sont englués tandis que les trottoirs sont mal entretenus et que les aménagements pour les cyclistes sont quasi inexistants.
  • les problèmes de capacité entre Midi et Nord sont solubles à court terme : il est parfaitement possible d’accoupler deux trams 3000 ou 4000 à la seule condition technique d’allonger certains quais des stations actuelles.
  • n’amènera qu’une toute petite amélioration de la mobilité : le taux de report modal (automobilistes qui abandonneraient la voiture pour le métro) serait inférieur à 1%. • est organisé en mailles larges : la distance entre les stations est importante par rapport aux transports de surface qui desservent des mailles serrées. Du coup, le métro profiterait à peu d’usagers locaux mais plutôt à des personnes devant faire des grands trajets.
  • signifie la suppression d’une ou plusieurs lignes en surface A Uccle, 75% des habitants ne seront pas concernés directement par une ligne de Métro, ils habitent trop loin du futur axe (quel que soit celui qui sera choisi). Et pour ceux qui prendront le métro, ils ne gagneront pas de temps par rapport au tram pour des trajets courts étant donné la profondeur des stations et les 3 minutes nécessaires pour arriver sur le quai dans l’hypothèse où tous les escalators fonctionnent.
  • pas besoin d’attendre 2030, 2040 (ou 2050 à Uccle !) pour réorganiser les lignes de tram et gagner du temps.


COÛT

  • le coût exorbitant ne permettra plus de disposer de moyens pour d’autres choses. Avec le même budget les pouvoirs publics pourront construire jusqu’à 10 fois plus de kilomètres de ligne de surface, augmentant l’offre et irriguant les quartiers.
  • Le budget a déjà augmenté de 50% avant travaux sur base de l’estimation qui a servi à la décision. Tous les coûts n’ont pas été intégrés. Les annonces officielles évoquent à ce jour un total de 1,8 milliard € et on n’en est ni à l’estimation définitive et encore moins au décompte final. Le budget d’investissement de la STIB est totalement insuffisant, le maintien du réseau existant va en souffrir. Déjà actuellement, l’automatisation des lignes 1 et 5 a été repoussée, pour maintenir ce montant de 600 millions à disposition du métro.
  • pas rentable car demande un nombre d’usagers important (et variable selon les études…).

PROJECTION DANS LA VILLE FUTURE

  • Travaux très longs et très importants, vont impacter économiquement une série importante d’acteurs et les usagers durant les travaux. Annoncé pour 2020, puis 2024, puis 2030, ….
  • élude la question du partage de l’espace public et du nécessaire rééquilibrage de son usage, pourtant au cœur des politiques de mobilité.
  • l’offre de trams, en utilisant des trams 4000 et/ou en les couplant dans les zones les plus chargées permettra de répondre à la demande à l’horizon 2040, renforcer l’offre en surface est LA solution.
  • l’énorme potentiel ferré de la SNCB qui mériterait d’être mieux exploité, notamment en termes de fréquence sans pour autant devoir investir un tel budget.

QUALITE DE VIE/USAGE

  • peu agréable à l’usage, contrairement aux transports en surface qui sont plus agréables et assurent la visibilité de l’offre, du réseau, le contact avec le paysage urbain et la lumière naturelle.
  • dans le cas de Bruxelles, (stations situées à une très grande profondeur), correspondances compliquées et chronophages.

RUPTURE DE CHARGE

  • peu de gain pour les usagers Ucclois tant que le Métro ne se prolonge pas vers le Sud, ils subiront les ruptures de charge à Albert et n’auront plus de lien direct avec le centre-ville : la station Albert deviendra le terminus (provisoire ?) de cette nouvelle ligne de métro, en correspondance avec les lignes de trams et de bus qu’empruntent fréquemment les Ucclois (trams 3, 4, 7 et 51 et les bus 48 et 54).

TRACÉ

  • Quel que soit le tracé, il ne réglera les problèmes de mobilité du Sud de la Commune que pour un faible pourcentage d’habitants. Parmi les différents tracés envisagés pour l’extension du métro à Uccle, 4 à 5 stations de métro remplaceront une dizaine d’arrêts de tram.

DEMANDE/RENTABILITE

  • la demande n’est pas suffisante, le seuil d’exploitation (entre 6000 et 10000 passagers/h et par sens) ne sera pas atteint. Aucun des tracés envisagés ne réunit les conditions de création d’une ligne de métro (densité de population, présence d’activités ou de grands équipements générateurs de nombreux déplacements).

Et maintenant, que fait-on avec tout ça ?

Pour résumer et en quelques mots :

Le métro est un formidable outil, rapide, efficace, d’avenir, à l’image d’une ville internationale du futur.

Il va vite, mais il est plus favorable aux longs trajets puisque ses arrêts sont espacés, il n’est donc pas très adéquat pour desservir une échelle de quartier. Il est très coûteux à réaliser, en termes humains, économiques et temporels, également à l’usage, ses stations sont énergivores et doivent être entretenues et rénovées régulièrement. Par contre, il permet des connections rapides entre des secteurs de ville. Il donne une belle image de Bruxelles comme ville internationale. Cerise sur le gâteau, en général, il roule puisqu’il n’est pas sujet aux aléas de surface. Il a donc des avantages… et des inconvénients.

Les transports de surface ont beaucoup d’avantages mais leur principal inconvénient est d’être englués dans la circulation automobile si on ne met aucune mesure en place, notamment par des sites propres, si on laisse la voiture rester le maître des lieux.

Ils sont beaucoup plus économiques, plus souples, plus rapides à mettre en place, ils roulent en surface ce qui est plus agréable, ils coûtent globalement moins cher à l’usage. Ils peuvent desservir une grande échelle de territoire s’ils sont en site propre (lignes « chrono ») ou desservir des petites échelles de quartier. Ils sont moins rapides que le métro pour des très longues distances. Ils ont donc des avantages… et quelques inconvénients.

Quels sont nos objectifs actuels ?

L’actualité nous rappelle tous les jours un de nos devoirs majeurs : essayer de sauver notre cadre de vie, la planète et protéger l’environnement. Conjointement, il faut permettre aux hommes de vivre dans la société d’aujourd’hui, il faut leur permettre de bouger. Sans doute vite, surtout mieux et en polluant le moins possible. Et il est clair que dans la ville de demain, l’avenir est aux transports en commun et à la mobilité douce.

Nous devons trouver des solutions très rapidement, il faut améliorer la mobilité tout de suite car notre planète souffre de nos inconséquences en matière d’environnement, s’il n’est pas déjà trop tard. Et pour couronner le tout, financièrement les temps sont durs !

Alors, Métro ou pas Métro ?

Le métro n’est sans doute, à court terme, pas la réponse à nos 4 postulats de départ :

  • agir rapidement : sa mise en place est longue, alors que des mesures simples de réorganisation du réseau existant pourraient amener des améliorations rapidement.
  • agir efficacement  : il faut que la mesure choisie permette de désengorger la ville et donc d’avoir un report modal à la hauteur de l’investissement, sans récupérer de l’espace en surface au profit de la voiture.
  • préserver la planète  : l’environnement et la santé doivent être privilégiés.
  • limiter le budget  : sa construction et son fonctionnement coûtent très cher et vont plomber d’autres investissements.

Pourtant, on ne peut écarter que le métro devienne un moyen de transport à l’échelle de demain, ce « futur que nous devons inventer sans l’avoir connu … » Il est/sera sans doute/peut-être une très bonne solution à moyen ou à long terme. Mais il n’est plus temps de nous vendre un chat dans un sac ! Et pour savoir, enfin, si effectivement, une extension du Métro sera une bonne solution à moyen ou long terme pour Bruxelles, une réelle étude globale sur les incidences du Métro doit être réalisée dans les plus brefs délais.

En attendant les résultats de cette étude, une série de mesures peuvent être prises à court voir à très court terme :

  • Optimiser et étendre les réseaux de transport de surface, réduire les correspondances,
  • Renforcer l’offre dans certains tronçons en couplant les trams (jonction Gare du Midi/Gare du Nord) ;
  • Renforcer les fréquences en particulier aux heures creuses, le soir, le samedi et le dimanche ;
  • Renforcer l’offre existante en chargeant la STIB d’exploiter des lignes ferroviaires bruxelloises dans le cadre de la libéralisation du transport ferré de voyageurs (2023) : 46 gares à Bruxelles et des fréquences de passage de 15 ou 20 minutes permettraient de créer un 2ème réseau de métro (REB : réseau express bruxellois) et estimer l’investissement nécessaire à cet aménagement ;
  • Continuer à développer les lignes de surface CHRONO (lignes sorties du trafic automobile grâce à des sites propres, des contre-sens, des voies prioritaires, ou encore une priorité aux carrefours assurée par le système de télécommande des feux de signalisation) ;
  • Imposer aux 4 opérateurs de transport public d’intégrer leurs services.

Conclusion…

Nous recherchons des solutions à court terme pour répondre aux exigences urgentes en matière de mobilité et d’environnement : ça tombe bien une série d’actions est possible très rapidement ! Dans le même temps, nous devons réaliser une réelle étude d’incidence pour une éventuelle extension du métro car la mise en place de solutions à court terme, n’empêche pas d’imaginer une politique d’extension du métro à moyen et long terme, programmée et budgétisée à l’avance mais surtout conditionnée car il n’y a pas de refus dogmatique d’une extension du métro.

Cette manière de faire aurait un grand avantage, celui de répondre à l’adage que l’expérience de la gestion en bon père de famille nous transmet : « Il vaut mieux ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier… »

Comme pour les parkings de dissuasion, pour ne pas devenir une fausse bonne idée, l’offre du métro doit certainement être conditionnée. Le métro est une offre de transport supplémentaire qui est mis à la disposition des usagers mais qui ne porte pas en lui-même la réduction du nombre de voitures dans la ville, l’amélioration du cadre de vie et/ou la diminution de la pollution et l’amélioration de la desserte de transports en commun pour tous. Lier les différents postulats implique la mise en place de conditions : la construction d’une ligne doit être accompagnée d’un plan non négociable d’exploitation du réseau de surface, de redistribution de la voirie aux usagers faibles (piétons, vélos, etc…) et d’une limitation du trafic automobile, conditions qui doivent obligatoirement être réalisées en même temps et donc intégrées dans les budgets.

C’est à ces conditions que le métro apporterait à long terme des éventuelles solutions à nos problèmes actuels.

Opter pour ou contre le métro en ne songeant qu’à l’intérêt des Ucclois n’est pas suffisant car c’est l’intérêt général de l’ensemble des Bruxellois qui doit primer. Dénoncer la perte de liaison directe entre le Sud de Bruxelles et le Centre-Ville doit être fait et est un argument très important, mais il n’épuise pas le sujet.

Florence Vanden Eede

20 janvier 2021