Arraché à la forêt de Soignes en 1875 pour remplacer l’hippodrome du Cinquantenaire (parc actuel), celui de Boitsfort se trouve à 98% sur le territoire... d’Uccle ! Comme celui de Groenendaal ouvert en 1888 pour suppléer à la petite taille de celui-ci, il est alors géré par la Société Royale d’Encouragement pour l’amélioration des races de chevaux et le développement des courses. Incapable de résister à la concurrence de la télévision, du Lotto et du Joker pour les paris, cette société est mise en liquidation à partir de 1995, ce qui pose le problème de la réaffectation des terrains et des bâtiments partiellement classés. |
De multiples propositions se succèdent :
golf, spectacles chevalins (défilés d’attelages, tournois de chevalerie...), casinos,
salon des jardins, aménagements horeca
(boîte de nuit, centre de congrès avec
hôtel de luxe...). A part un golf à 9 trous
(1988), aucune n’aboutit. L’appel d’offres
de projets privés lancé en 2005 par le
Gouvernement bruxellois échoue : le
coût de la restauration des bâtiments
classés (tribune, pesage) — estimé à 6 m€
(au moins) — entraîne des exigences de rentabilité insoutenables à moins d’une
fréquentation intense posant notamment
des problèmes de mobilité. Les communes d’Uccle et de Watermael-Boitsfort
se sont insurgées à l’époque à ce sujet et
devraient donc réagir vigoureusement
cette fois encore.
La gestion des lieux est alors confiée par
le Gouvernement bruxellois à la Société
d’Acquisition foncière (SAF) en 2011.
Le nouvel appel d’offres lancé le 27 novembre 2012 prévoit la réhabilitation des
bâtiments aux frais de la Région. Parmi les
sept nouveaux projets retenus, le gouvernement bruxellois choisit en novembre
de la même année celui de VO Group associé au bureau d’architectes Art & Build
et à JNC (Joining Nature & Cities, pour
l’aménagement paysager) : le projet Droh !me.
Ce projet veut créer LE parc de loisirs
mixte (melting park) du 21e siècle, combinant 5 pôles (sport, culture, nature, pédagogie et détente), mais pas équivalents :
à lui seul, le pôle ’détente’ totalise deux
cinquièmes des activités (plaines de jeux,
espaces de pique-niques, mini-fitness,
restaurant, brasserie...) ; les pôles sports
(golf, zone équestre, patinage, tennis) et
culture (expositions, spectacles, jardins)
en réunissent plus du tiers ; reste à peine
un quart pour la nature et l’éducation...
du moins pour ce qui est placé sous ce
double vocable : passer d’une cime d’arbre
à une autre, grimper au belvédère qui dominerait la forêt (un coup de poing dans
le paysage...), est-ce promouvoir la nature
ou la perturber ?
Quant à la découverte des abeilles, placer
des ruches en lisière ou à proximité serait
aberrant car tout lieu d’élevage d’une espèce domestique attire des parasites, dangereux aussi pour ses cousines sauvages.
En outre, celles-ci se verraient concurrencées dans leur quête de nourriture, alors
qu’elles sont meilleures pollinisatrices. Enfin, la place occupée par le golf au centre
de l’espace rejette fatalement beaucoup
d’activités vers l’ancienne piste équestre,
donc vers les lisières de la forêt, sa zone
la plus fragile.
Pour être financièrement rentable, le
melting park doit attirer 200.000 visiteurs par
an, soit en moyenne 550 par jour, mais ce
n’est qu’une moyenne : la nature même
des principales activités prévues concentrera cette affluence surtout sur les soirées de week-end et sur les beaux jours
coïncidant avec des périodes de congé.
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On atteint là le cœur du problème majeur
posé par le concept même de ce projet
concernant " l’un des derniers espaces verts
libres de la Région de Bruxelles-Capitale
" (de l’aveu même de ses promoteurs).
Il ne faut pas être urbaniste pour imaginer
son impact sur la mobilité dans et autour
de la capitale : d’une part, le parking de
véhicules envahissant les rues et avenues
proches, déjà bien encombrées ; d’autre
part, les accès depuis Bruxelles et depuis
le ring à Groenendaal par les deux côtés
de la chaussée de La Hulpe et l’avenue de
Lorraine (voir la carte ci-dessus).
Réduite à une bande de circulation dans
chaque sens, en particulier dans ses parties forestières, celle-ci sera encore plus
surchargée qu’actuellement depuis le site
de l’hippodrome jusqu’au cœur de la forêt,
accroissant la pollution chimique, sonore
et lumineuse (activités prévues le soir) si
dommageable pour la faune.
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Quelle tentation de dédoubler les accès ;
par exemple, la pose prochaine d’une
conduite de gaz par Sibelga sous la voirie forestière permettrait de renforcer en
fin de travaux le revêtement de la drève
des Renards entre celle de Lorraine et la
chaussée de La Hulpe.
Ce serait contraire aux décisions d’exclure l’automobile de la forêt prises dans
les années 1960-70 ? Et alors ? On a vu leur
poids lors de la création du ring 0 et de
l’élargissement de la chaussée de Wavre
entre Rouge-Cloître et Notre-Dame au
bois / Jezus-Eik à la même époque...!
On partagerait donc ainsi le trafic :
1) par l’avenue de l’Hippodrome — existante — celui gagnant Bruxelles via le bois
de la Cambre (ou la chaussée de Waterloo, déjà encombrée quand il est fermé) ;
2) par la drève des Renards — rendue
plus carrossable — celui rejoignant l’avenue de Lorraine pour aller vers le sud ; un
feu réglerait le croisement des visiteurs
revenant de Droh !me avec les véhicules
se dirigeant vers Bruxelles : ce ne serait
jamais que le 4e feu, qui contribuerait sûrement à fluidifier la circulation...
Ce qui est sûr, c’est que Sibelga annonce
sa volonté de synergie avec Droh !me...
Le sort de l’hippodrome de Groenendaal,
largement retourné à la forêt, n’a pas inspiré les concepteurs de Droh !me. Certes,
la proximité de la ville et la taille des bâtiments classés ne sont-elles pas comparables ; l’affectation des bâtiments classés
de l’hippodrome "de Boitsfort" à des fins
culturelles et de détente constitue un aspect positif de Droh !me, qui en compte
d’autres comme les plaines de jeux ou la
Maison de la Forêt (selon ce qu’on y mettra).
Ce qui est insupportable dans ce projet,
c’est son gigantisme — vanté par ses promoteurs ! — ne visant que la rentabilité
financière (à court terme). Ses concessions à la rentabilité écologique (à long
terme) imposée par le statut de la forêt et
ses plans de gestion ne sont que rideaux
de fumée verdâtre.
Pourtant, il y avait une alternative parmi
les autres réponses à l’appel d’offres de la SAF : le projet Terra Sylva proposait — lui
aussi sous une forme ludique et sans ignorer l’aspect financier — une initiation aux
métiers traditionnels, une ferme urbaine
et un parcours initiatique à la forêt, mieux
intégrés au site et à son environnement
et préparant tellement mieux à découvrir
la forêt. Plus modeste, il aurait posé moins
de problèmes de mobilité : une occasion
manquée de réfléchir par la pratique à un
rééquilibrage de nos conditions de vie.
Les objectifs réels du projet Droh !me
contredisent ceux avoués : sous le slogan
" redonner une place importante à la nature
et à la biodiversité en ville
", il fera pénétrer
la ville dans une lisière forestière. Il camoufle "
un pôle régional récréatif et de loisirs actifs à Bruxelles
" par des justifications
écologiques illusoires : loin d’"améliorer
l’accès à la Forêt de Soignes", il aggravera
les problèmes actuels de mobilité susceptibles d’entraîner de nouvelles atteintes à la forêt proportionnelles à celles dues
aux axes autoroutiers créés des années
1960-70 (ring et chaussée de Wavre), qui
allaient "améliorer les accès à Bruxelles".
La justesse de la prédiction se vérifie
chaque matin et chaque soir de semaine ;
avec Droh !me elle la confirmera le weekend aussi : on n’arrête pas le "progrès"...
Il y a quand même un bon côté dans le projet Droh !me : c’est de vous offrir une occasion rêvée d’agir pour la forêt de Soignes et notre environnement : réagir à l’enquête publique relative au projet Droh !me dès qu’elle sera ouverte (en novembre ?) Ce sera en même temps une bonne occasion d’exercer vos droits de citoyens dont se plaignent si souvent d’être privés celles et ceux qui préfèrent se plaindre qu’agir. Mobilisez aussi vos proches : ce texte est consultable sur le site des Amis de la Forêt de Soignes |