La Lettre aux habitants n’a pas pour habitude d’aborder
des sujets trop juridiques. Pourtant cette fois nous allons
vous parler de la loi du 19 janvier 2014 portant réforme
de la compétence, de la procédure et de l’organisation
du Conseil d’Etat car, peut-être, serez-vous aussi
concernés.
Qu’ai-je à voir avec le Conseil d’Etat ?
A Uccle, les projets de promotion immobilière ne
manquent pas ces dernières années. Et vous avez tous
compris que dans les prochaines années, ils se multiplieront.
La Commune vous informe par le biais d’affiches
roses qui vous annoncent des enquêtes publiques,
suivies de commissions de concertation qui se tiennent
généralement dans la salle du Conseil communal, au
1er étage de notre maison communale. Souvent, les
représentants de votre Comité de quartier ou de l’ACQU
y prennent la parole, y défendent le point de vue des
habitants et transmettent leurs observations par écrit.
L’autorité régionale ou communale délivre ensuite un
permis qui tient plus ou moins compte des observations
communiquées.
Parfois, le permis délivré ne tient pas compte des avis
exprimés et ne respecte pas différentes dispositions
légales en matière d’urbanisme (par exemple, les prescriptions
d’un PPAS « plan particulier d’affectation du
sol » ou les formalités de publicité obligatoires).
Certains peuvent alors décider d’introduire un recours
pour faire annuler la décision (le permis) auprès du
Conseil d’Etat qui est la seule juridiction compétente
pour trancher la contestation. Mais ce n’est pas facile.
En général, il faut prendre un avocat (c’est assez cher),
respecter différentes règles (relatives aux délais, à la
motivation,...) et cela dure toujours très longtemps avant
d’avoir une décision. Bref, on réfléchit longtemps avant
de s’engager dans une telle procédure.
Pourquoi les règles ont-elles changé ?
Ces dernières années, de nombreux recours ont été
introduits par des comités de quartier ou par des
habitants en matière d’urbanisme. Comme c’est arrivé
à plusieurs reprises contre des pouvoirs publics ou
semi-publics, ces derniers se sont plaints de ces recours
dont certains ont pourtant été déclarés fondés. Il peut
s’agir par exemple de riverains fâchés parce que leurs
conditions de vie étaient profondément modifiées par
de nouvelles infrastructures qui modifient sensiblement
leur environnement. Des comités de quartier et
même des Communes se sont parfois associées à ces
contestations, tant le cadre de vie de leurs concitoyens
était transformé. Des recours ont été introduits et le
Conseil d’Etat a reconnu que les arguments présentés
étaient valables et entraînaient la suspension des permis
octroyés ou des travaux entamés, voire l’annulation des
permis. L’autorité en a été révoltée et n’a pas manqué de
fustiger ces citoyens qui « osaient » s’attaquer à l’autorité
publique pour des motifs qu’elle estime accessoires
de par son seul jugement.
On le comprend : l’autorité n’apprécie pas que les
citoyens osent remettre en question ses projets, qu’elle
estime d’un intérêt largement supérieur au leur, quitte
à ne pas respecter les règles de droit.
Que reste-t-il alors au citoyen comme autre solution
pour faire valoir ses droits que de s’adresser au Conseil
d’Etat ?
Les nouvelles règles du Conseil d’Etat
Pour limiter les recours citoyens, la nouvelle loi met
en place de nouvelles dispositions particulièrement
décourageantes.
« Cette technique permet de modifier la décision contestée
dans le cadre d’un recours en annulation et permet
au Conseil d’Etat de corriger ou de faire corriger un vice
de l’acte attaqué.
Pour le citoyen, le recours risque de ne plus avoir d’utilité,
sinon de permettre à l’autorité de régulariser son
acte. Pour l’autorité, par contre, la boucle administrative
lui permet d’éviter la conséquence de l’annulation d’un
acte irrégulier et l’encouragera dès lors à négliger le
respect des règles et des formes, puisque, en cas de
recours, il y a moyen d’éviter l’annulation en négociant
avec le Conseil d’Etat.
Cette boucle administrative risque de promouvoir et
d’organiser l’impunité des autorités et de rendre vains
les recours de citoyens auprès du Conseil d’Etat. »
(extrait de la revue « Diagnostic » n° 315 de février 2014
du GERFA, asbl – Groupe d’Etude et de Réforme de la
Fonction administrative, page 22)
Il s’agit, selon nous, d’un réel recul démocratique.
« Elle rend le Conseil d’Etat très coûteux pour le
requérant qui succombe. Le risque de perdre et d’être
condamné à payer une indemnité substantielle risque
d’en faire reculer plus d’un et donc de réduire le contrôle
du Conseil d’Etat sur les actes juridiques.
Cela étant, le risque de l’indemnité de procédure ne
fera nullement reculer les sociétés commerciales et
immobilières dans la défense de leurs intérêts. Le Conseil
d’Etat risque donc de devenir le tribunal des nantis et de
la préservation des intérêt des grosses sociétés. » (extrait de la même revue, pages 22 et 23)
Cette indemnité, ajoutée à l’instauration récente de
la TVA sur les frais d’avocat, aura pour effet direct de
priver bon nombre de citoyens aux revenus modestes ou
moyens et d’associations qui défendent leurs droits d’un
accès aisé au Conseil d’Etat. En matière d’urbanisme, nul
doute qu’il en résultera un nombre réduit de recours,
au bénéfice des autorités administratives et des grandes
sociétés immobilières qui se préoccupent plus de leurs
bénéfices que du bien-être des citoyens.
Il nous a semblé utile d’informer les citoyens ucclois de
ces nouvelles dispositions qui auront un impact évident
sur tous les projets immobiliers à venir dans nos quartiers
et les possibilités juridiques de les contester sur une
base légale.
Des recours
Différentes associations (tels qu’Inter Environnement
Bruxelles, Inter Environnement Wallonie, la Ligue des
Droits de l’Homme, Bruxelles-Nature ...) ont introduit des
recours juridiques pour tenter de s’opposer aux nouvelles
dispositions légales qui leur paraissent les plus néfastes.
Alain Thirion