Dans le dernier numéro du Wolvendael, le Collège échevinal a chanté les louanges du projet d’installation du théâtre Le Public au parvis St Pierre dans les termes suivants :
« Dans la recherche du beau et soucieuse des attentes de ses concitoyens, … nous rendons hommage à notre patrimoine, que nous rénovons en embrassant l’avenir avec enthousiasme ».
Ou encore : « Cet avis (de la commission de concertation), assorti de conditions qui reflètent notre engagement envers la préservation du patrimoine urbain et l’intégration harmonieuse de ce nouveau lieu culturel, clôt une phase administrative essentielle du projet ».
Et même : « Veillant à ce que « Le Public » s’intègre au mieux au paysage urbanistique du Parvis ».
Or, nous sommes convaincus que ce projet est désastreux pour le parvis St Pierre et pour le vieil Uccle en général.
En réalité, voici ce qui est projeté :
L’arbre magnifique et en parfaite santé va être abattu, une grande partie du jardin va être bétonnée, la belle salle d’audience va être rasée. Idem pour la verrière et les carrelages qui font de cet endroit le décor d’un roman de Simenon.
A la place, une sorte de très long hangar d’aviation de 11 mètres de haut va venir s’accoler, presque jusqu’au faîte du toit, au flanc gauche de la Justice de Paix. Il accueillera la billetterie, une grande salle de théâtre et les installations techniques.
Au sommet de ce hangar un « bar récréatif » pour animer les soirées de « l’homo festivus » et empoisonner à jamais celles des habitants de la rue Verhulst et des autres riverains.
Ce n’est pas tout. Du côté de la place Homère Goossens, la façade est relativement préservée, mais à l’intérieur presque tout est détruit. Les belles grandes fenêtres du premier étage sont rendues aveugles par un cube de béton coulé à l’intérieur et qui accueille une salle de spectacle en gradins. Voilà qui est irréversible ; le bâtiment perd alors toute la polyvalence qui l’a maintenu debout jusqu’ici au cours de ses multiples vies.
Qu’importe, devant les accusations de « façadisme » d’un autre âge, l’architecte récite le mantra de la conservation garantie des caves et d’un escalier !
Mais si le bâtiment est vraiment vétuste, n’est-il pas rationnel de le « réhabiliter », selon la terminologie des promoteurs ?
Avec le comité de quartier d’Uccle Centre, nous avons obtenu de pouvoir visiter les lieux, mais seulement en présence de l’architecte et d’un délégué du Collège, en devant donner au préalable l’identité des visiteurs…
Nous avons été longuement promenés dans des caves et des greniers poussiéreux, mal entretenus et négligés depuis de nombreuses années par la Commune mais secs et en bon état. On ne nous a pas montré certaines salles en parfait état du deuxième étage, que j’avais eu l’occasion de visiter lors du parcours d’artistes.
Au bel étage, beaucoup d’employés affairés, l’activité de la Justice de Paix est bourdonnante, et elle l’est depuis cent ans. Les pièces sont majestueuses, la lumière rentre à flot, la vue est superbe, tout est très bien entretenu. Pourquoi déménager cette activité ?
Au premier, qui a toujours abrité diverses associations, même constat, sauf qu’il n’y a plus personne.
Au deuxième, de belles salles que j’ai évoquées plus haut et un grenier non aménagé avec de remarquables charpentes (qui sont photographiées dans le rapport d’incidence). Comme il n’y a presque pas d’activité dans cette zone, tous les appuis de fenêtres sont envahis de pigeons et souillés de fientes , sans que la Commune s’en soit jamais émue.
Mais revenons au bel étage du bâtiment côté Goossens, et voyons ce qu’il deviendrait : un restaurant de 80 couverts qui aura aussi accès à la place par le percement d’un escalier empiétant sur le domaine public. Le restaurant sera ouvert 7 jours sur 7, tous les jours de l’année, de 8h30 à 23h.
La commune s’est engagée à « accompagner la demande d’occupation de l’espace public permettant l’établissement d’une terrasse telle que celle prévue dans les plans de l’architecte Metzger ».
Ce plan est maintenu secret. Pourquoi ? Et y a-t-il d’autres secrets ?
Autre chose : il existe un bail emphytéotique conclu entre le théâtre et la Commune.
Un premier bail avait été cassé par la tutelle régionale avec des mots très durs : « Viole la loi », « Lèse l’intérêt général », « De nature à appauvrir la commune », « contraire au principe de bonne gestion », etc.
Si vous suivez les séances des conseils communaux sur Internet (elles sont filmées), vous verrez que l’opposition, qui avait levé le lièvre de ce premier contrat scandaleux, s’est fait huer copieusement par la majorité qui l’avait ficelé.
J’ai obtenu le deuxième contrat car, il faut le savoir, même si elle n’a pas jugé bon d’en faire la publicité, la Commune est tenue de fournir cette information à tout Ucclois qui la demande.
A sa lecture, on comprend la discrétion du Collège.
Le bail est maintenant conclu avec deux acteurs : l’ASBL LE PUBLIC - qui était seule en jeu dans le premier bail - et la S.A ESPACE PUBLIC qui est détenue à 50% par la société « Culturum » et 50% par l’architecte du projet, monsieur Francis Metzger.
Le loyer (le canon, dans le jargon) est fixé à 5000 € par mois mais bénéficie d’une réduction de 15% pendant 22 ans ; le loyer est donc de 4250 € par mois pendant 22 ans.
Le bail est conclu pour une durée de 30 ans, reconductible. Les conditions de reconduction sont totalement favorables aux 2 colocataires, il est pratiquement impossible à la Commune de mettre fin à leur bail.
Donc, si les colocataires partagent le loyer, pour 2125 € par mois (théoriquement 2500 € indexé après 22 ans), la SA « Espace Public » se rend maître d’un restaurant de 80 couverts avec la garantie d’une terrasse qu’on imagine très étendue donnant sur la plus charmante petite place d’Uccle et un bar « récréatif » qui surplombe le parvis Saint Pierre.
C’est la poule aux œufs d’or. Tout cela sans réelle mise en concurrence et financé en belle partie par la Région.
La SA peut parfaitement transférer ou même vendre l’activité horeca à n’importe quel autre acteur.
Et aucune précaution ne semble avoir été prise dans le bail pour, d’une part éviter que des parts de la SA ne soient transférées à ceux qui ont permis ce projet, ni d’autre part pour empêcher l’ASBL de partager avec la SA les avantages dont elle bénéficie, mais rien n’oblige la SA à supporter l’ASBL avec ses gains !
Sans concurrence ? Mais l’appel à projets alors, il y a eu plusieurs candidats, non ?
Il semble que le candidat choisi était pressenti bien à l’avance :
En effet, la Commune a décidé le 10/9/2020 de procéder à un appel à candidatures pour trouver des candidats intéressés à la location du bâtiment de la Justice de Paix, dans le cadre d’un bail emphytéotique. Très curieusement : le dossier de soumission du théâtre Le Public (qui sera finalement retenu par la Commune) comprend un budget de travaux daté du 11/5/2020 (établi par l’entreprise de construction Eiffage), soit 4 mois avant l’appel à candidatures !
L’appel à candidatures impose que le candidat combine une activité « d’intérêt collectif ou de service public de type culturel et récréatif » ET une activité horeca, tout comme le théâtre Le Public le fait actuellement dans son premier établissement. Les associations qui développent des projets purement d’intérêt collectif, culturel ou récréatif étaient donc exclues, à moins qu’elles ne développent une activité horeca de taille… et ce malgré que le quartier soit un des mieux lotis d’Uccle en matière de restaurants.
Les candidats évincés ne sont pas nommés et leurs projets ne sont pas connus. C’est un autre secret dans le cadre de l’enquête publie.
Vint le temps de la commission de concertation. Les avis et commentaires sont exposés de part et d’autre. Les partisans parlent d’abord : l’architecte, le théâtre, le Bourgmestre, l’avocat du théâtre (qui siège à la commission des monuments et sites, comme l’architecte) ; tous avancent leurs calculs derrière le bouclier de la culture (qui oserait détester le théâtre ?).
Sauf que le théâtre existe déjà à 5 minutes à pied (Google Maps), dis-je, quand la parole m’est donnée. C’est rue Rouge, le Centre Culturel d’Uccle, parfaitement équipé, avec trois belles salles qui totalisent plus de mille places. Avec 60.000 spectateurs revendiqués (cf le site de la Commune) sur, mettons 200 jours par an effectifs, le citoyen lambda que je suis calculera que le théâtre est utilisé à 33 % de sa capacité ; j’admets que le calcul est simpliste mais il donne à réfléchir … Ne faudrait-il pas demander à l’échevine de la culture si la question d’une mutualisation des installations du CCU avec le théâtre Le Public a été envisagée, ne serait-ce que pour les spectacles importants ?
Je déclare parler d’abord au nom des 500 personnes qui ont signé la pétition défavorable au projet (nulle mention de cette pétition dans le rapport de la commission de concertation !), et ensuite des 250 signatures de Bruxellois qui ont remis, par l’intermédiaire de la très active Association du Patrimoine Artistique, une demande de classement des bâtiments et alentours au service d’urbanisme du Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale (sans cette demande, conforme, les pelleteuses seraient déjà en action).
Enfin, je donne ma vision très « I had a dream » du devenir de ce précieux patrimoine.
Un éminent architecte rappelle à son cher collègue Metzger que le fondement de la charte de Venise qu’il invoque pour justifier la modernité de l’énorme cube brun qui ferait face à l’église classée d’époque Louis XVI (1790) ; le fondement de cette charte, dit-il, c’est que dans le cas d’un bâtiment ancien la fonction doit s’adapter au bâti et non le bâti à la fonction, comme projeté ici.
Un beau texte d’écrivain est lu, qui suscite des remous indignés dans les rangs des partisans ; d’autres intervenants, professionnels ou non, disent le bon sens et mettent en garde contre la possibilité d’un très grave gâchis.
Le trafic de voitures qui sera induit par le projet inquiète jusqu’à ses partisans, les solutions proposées relèvent de l’invocation : ayez la foi, nous dit-on … (de toute façon, si ça ne marche pas, voyez l’échevin de la mobilité).
En pure perte : la commission de concertation remet un avis favorable. Certes, pas à l’unanimité ; certes avec des restrictions cosmétiques, mais favorable.
Le permis sera-t-il accordé ? Pas si sûr.
D’abord, ce n’est pas parce qu’un avis est favorable que la Région délivre automatiquement le permis. Elle peut émettre des réserves.
Ensuite, la Commission Royale des Monuments et des Sites pourrait décider d’étudier le dossier de demande de classement, puis c’est à la Région de se prononcer. Au mieux, elle pourrait être favorable à la demande de classement des abords de l’église et/ou des bâtiments de la Justice de Paix, ce qui demanderait une refonte totale du projet, avec une nouvelle demande de permis d’urbanisme.
Bien sûr, je l’ai dit, l’architecte du projet et l’avocat conseil du théâtre siègent tous deux dans la CRMS, mais ils auront l’obligation de se retirer des délibérations pour éviter le conflit d’intérêts.
Enfin, si le permis était accordé, vu les faiblesses du projet, de la procédure suivie et les nuisances qu’il causerait aux riverains, plusieurs recours au Conseil d’Etat pourraient être introduits.
Gardons à l’esprit cette phrase de Charles Péguy : « Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles ».
Et continuons le combat.
Alain Chennaux et la pléiade des amis du vieil Uccle
Il est des dossiers plus sensibles que d’autres. Celui de l’installation du théâtre Le Public au parvis St Pierre en est un. Il soulève même des passions.
L’ACQU n’a pas pour ligne de conduite de refuser des textes au motif qu’ils risqueraient de déplaire à ceux qui nous gouvernent. Les opinions sont libres. Qui peut prétendre détenir la vérité ? Pour autant que sur le fond l’auteur s’en tienne aux faits et que ses opinions soient exprimées en termes mesurés, même si leur courroux est grand, vu l’impact lourd sur leur cadre de vie des projets qu’ils contestent.
L’ACQU demande ainsi régulièrement aux auteurs de ne pas se laisser emporter par leur colère. Colère que nous comprenons et pouvons partager.