L’objectif original du P.R.A.S. : Un garde fou
Le maintien d’une diversité des fonctions
et des équipements dans le tissu urbain
est une question cruciale qui s’est posée
dès les années ’70 et lors de l’élaboration
du premier Plan de Secteur bruxellois
(finalement adopté en 1979). Afin d’assurer
cet équilibre et au vu des pressions
immobilières qui ne faisaient déjà que
croître, le législateur de l’époque avait
bien identifié l’utilité de préserver du
cadre spéculatif des terrains à faible
valeur foncière. C’est ainsi que naquirent
les concepts de « zones vertes », de
« zones de sport et de loisir de plein
air » ou encore de « zones d’équipement
collectif et d’intérêt public » qui furent
dotées d’un statut réglementaire spécifique.
Avec l’adoption du Plan Régional
d’Affectation du Sol (PRAS) en 2001, ce
principe de « dévalorisation foncière »
fut pleinement confirmé et semblait
donc acquis pour le long terme, voire
même renforcé (notamment par sa participation
au concept de maillage vert).
Contournement d’un système considéré comme contraignant
Suite à une pression foncière toujours
plus forte, ce principe « protectionniste
» s’est finalement érodé et semble
aujourd’hui en perdition. Les autorités
publiques sont désormais enclines à
accorder des exceptions et à voir dans
les zones protégées, au gré d’interprétations
très « tolérantes », un substitut
foncier pour divers projets de développement
En |
Un glissement progressif
Depuis quelques années, on constate un
certain glissement d’affectation d’une
zone à l’autre, suivant les opportunités et les intérêts en jeu. Le schéma est
classique : dans un premier temps on
demande de joindre à l’affectation foncière
prévue par le PRAS une fonction
différente censée - pour respecter le
prescrit légal - lui être accessoire. Au
final la fonction de base se marginalise,
voire disparaît complètement en faveur
de la fonction parasitaire autrement plus
rentable. C’est ainsi que de plus en plus
souvent on permet dans toute la Région
bruxelloise la construction :
Ce phénomène de déréglementation est
insidieux car les cas ayant été autorisés
font office de « précédents » et nourrissent
une jurisprudence administrative
contraire à l’esprit originel du Plan.
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Déréglementation du PRAS pour redynamiser l’attractivité de la Région : un jeu de
dupes ?
Le phénomène de déréglementation [1] s’est vu institutionnalisé depuis décembre 2013 à travers la modification
du PRAS renommé pour l’occasion « PRAS Démographique ».
Les quelques adaptations apportées ci et là au texte (prescriptions littérales du Plan) semblent à première
vue d’ordre « cosmétique ». Leurs conséquences en matière d’aménagement du territoire sont
pourtant non négligeables. Ainsi, par exemple, suite à la modification de la prescription 8.1. et 8.2, la
construction de logements et de commerces est dorénavant ouvertement autorisée en zone d’équipements
d’intérêt collectif ou de service public [2].
Cette façon de procéder à permis la réalisation de plus-values
foncières parfois fabuleuses ; un terrain acquis au prix du mètre
carré d’un terrain de sport de plein air ou d’équipement collectif
se voit autorisé d’un coup à accueillir du logement. Qui plus est,
dès lors que ceux-ci sont construits en hauteur, cela permet de
réaliser des plus-values plus qu’appréciables.
Cette latitude offerte par le PRAS Démographique au secteur
du logement, est officiellement justifiée comme une réponse
nécessaire au « boom démographique » censé affecter la Région
bruxelloise. Cependant, nonobstant les réels besoins sociétaux [3],
la politique de la Région semble surtout viser à retenir la classe
moyenne, aisée et accessoirement internationale en ses frontières [4],
ceci pour d’évidentes raisons de recettes fiscales.
En vue de cet objectif et compte tenu de l’importante densité
bâtie du territoire, nos décideurs ont considéré approprié de
libérer de nouveaux terrains (réservés jusqu’alors à quelques
affectations restreintes), en vue de redynamiser l’attractivité de
Bruxelles aux yeux des investisseurs [5]. Ainsi, la modification du
PRAS constituerait avant tout une opération de valorisation foncière,
de City Marketing [6]. Or, se pose la question de l’intérêt, pour
la collectivité, de ce type de stratégie marchande souvent à court
terme et qui pousse à mettre Bruxelles en concurrence avec la
périphérie, voire avec les villes des pays voisins. Ne s’agit-il pas
finalement d’un jeu de dupes au détriment de l’intérêt général ?
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L’exemple actuel le plus flagrant est l’absurde suroffre commerciale
qui se profile au nord de Bruxelles avec la construction de
3 méga centres commerciaux qui se situent dans un rayon d’à
peine 7 km. Cette situation insensée n’aurait probablement pas
pu avoir lieu sans la récente modification des prescriptions du
PRAS.
Ceci dit, le non sens commercial de cet exemple ne représente
que la partie visible de l’iceberg. La marchandisation accélérée
des derniers terrains non bâtis et/ou anciennement préservées
du cadre spéculatif, risque d’engendrer une dangereuse bombe à
retardement tant les externalités négatives en matières sociale,
environnementale et urbanistique restent généralement totalement
sous-évaluées.
La marge de manœuvre est hélas très réduite pour contrer ce phénomène. Face à l’endettement croissant
et à la crise des finances publiques, force est de constater que nos élus dépendent de plus en
plus du secteur privé. Est-il raisonnable de faire fréquemment appel aux partenariats public - privé
(ppp) [7] ou à mettre en vente sur le marché privé les derniers grands domaines publics pour financer les
mission de service public et d’intérêt collectif [8] ? Ne faut-il pas rester vigilant pour que ce phénomène
ne se fasse pas au détriment des réelles politiques sociales de redistribution équilibrées [9] en matière
d’équipement et de production de logements sociaux notamment ?
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Décalage entre réglementation
et gestion courante des affaires
Malgré la nécessité de préserver des
garde-fous, il faut reconnaître que
le système actuel de hiérarchie des
plans (depuis 2001) est formellement
assez rigide. Du coup, il existe un grand
décalage entre la temporalité d’un outil
complexe comme le PRAS et la gestion
courante des affaires. Ce décalage
explique partiellement pourquoi, dans
certains cas, on en est revenu à des
situations qui peuvent faire penser
à l’obscurantisme urbanistique des
années 1960 et 1970. Enfin, il explique
également le pourquoi du PRAS démographique
et la vague « d’ajustements »
qu’il a permis.
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Ajoutons que l’urbanisme est une
matière qui connaît progressivement
un excès de juridisme. Le citoyen est
de plus en plus mis à l’écart du débat
démocratique car n’y comprenant
plus rien. Cette situation s’est encore
aggravée avec l’adoption de la loi du
19 janvier 2014 réformant la procédure
devant le Conseil d’Etat. L’introduction
d’un recours en annulation (et éventuellement
en suspension) contre un
permis d’urbanisme a été rendu quasi
impossible sans l’aide d’un avocat spécialisé
et sans des moyens financiers
très importants (de l’ordre de minimum
4 à 5 mille euros) [10]. Dans ce contexte,
l’opportunisme de certains « courtisans
de cabinets », qui n’hésitent pas
à exploiter les failles et les faiblesses
de cette situation à leur avantage (sans
beaucoup d’égard pour l’intérêt général)
est évidemment déplorable. Mais
c’est davantage l’attitude de certains
acteurs politiques qui est fâcheuse :
ils prétendent défendre l’intérêt commun
(et édictent des réglementations
dans ce sens) et agissent pourtant de
manière contraire.
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On se trouve confronté à un
constat général qui pourrait
paraître sans solution face à des
problèmes très locaux. Or, il y
a bien des solutions puisqu’ils
sont in fine conditionnés par les
agissements et les décisions de
nos représentants communaux
et régionaux.
De nombreuses villes sont
gérées avec des modèles de planification
continus et évolutifs.
Sans être parfaits, ces modèles
permettent au moins que toute
décision soit portée sur le plan
politique et reste dans le champ
d’un fonctionnement démocratique
normal. En attendant, les
autorités communales et régionales
ne doivent avoir qu’un seul
objectif : le respect des règlements
et de la configuration
du territoire tels que résultant
de processus transparents et
démocratiques.