L’expression est à la mode. Si elle correspond parfois à une certaine réalité, elle se révèle d’autres fois assez illusoire.
Un constat : la prise de conscience d’une conception dynamique de la démocratie
Cette dynamique ne va pas à l’encontre des principes fondamentaux de la démocratie parlementaire représentative, même si certains revendiquent plutôt l’adoption d’un système de démocratie directe. Ainsi, au niveau de l’Union Européenne, des règlements et directives ont été adoptés dans la perspective d’impliquer une plus grande participation de la population dans tout ce qui concerne la construction de notre environnement urbain. Plusieurs éléments sont à l’origine de cette conjoncture :
Un façadisme de participation
Mais avec les années, les plus-values sociales de ces acquis ont progressivement perdu de leur vigueur. A Bruxelles, la réglementation en matière d’urbanisme est devenue, à force de multiples révisions, d’une part très lourde, même opaque, et d’autre part de plus en plus partiale. Ce constat semble être partagé par l’échevin ucclois de l’Urbanisme Marc Cools [1] : « Le droit de l’urbanisme n’a plus de cohérence à Bruxelles. (...) Une législation sans balises claires, hyper complexe et dont certains processus de décision sont opaques crée un risque d’arbitraire. L’interventionnisme des cabinets ministériels dans certains dossiers suscite beaucoup d’interrogations.
La lourdeur et la lenteur des procédures pénalisent tous ceux, et en premier les particuliers, qui veulent construire et investir à Bruxelles. »
En outre, le registre de la « communication » a tendance à se substituer à la nécessité d’entretenir un réel débat informé et contradictoire [2]
Certains promoteurs - qu’ils soient publics ou privés – prétendent
« informer » et même solliciter l’avis des habitants, mais soit c’est purement cosmétique (« on va réorganiser tel espace public : quelle couleur souhaitez-vous pour les corbeilles à papier ? »), soit on ne dit pas ce qui est important (« on va rénover l’hippodrome de manière écologique » alors que la finalité est d’y créer de l’événementiel). Des observateurs n’hésitent pas à parler à ce propos de « façadisme de participation ».
La conjoncture actuelle
Reconfiguration des rapports de forces présidant à la construction de la ville.
Par essence, « faire la ville » est une activité sociale conflictuelle [3]. Autant d’actions qui mettent en présence des désirs, des ambitions et des intérêts variés et le plus souvent contradictoires.
Il y a 6 ans, Mathieu Van Criekingen relevait trois raisons principales qui expliquent à Bruxelles le changement de conjoncture d’où découle le sentiment de perte de démocratie :
Mais n’existe-t-il pas encore une autre cause à ce façadisme de participation ? Nous le pensons et elle est pernicieuse : c’est la volonté du pouvoir politique de reprendre d’une main ce qu’il a concédé de l’autre. Ceci mérite un mot d’explication : Le pouvoir politique est de plus en plus obligé de faire preuve de transparence et de permettre
aux habitants de faire connaître leur opinion. La législation de l’Union Européenne y est pour beaucoup. Songeons à la Convention d’Aarhus qui garantit à toute personne le droit d’être informée, de préférence en amont des projets, de s’impliquer dans les décisions et d’exercer des recours en matière environnementale. Cette Convention consacre donc le droit du citoyen à une place dans les débats environnementaux ; elle rencontre les exigences de transparence et de proximité, synonymes de bonne gouvernance publique.
Reconnaissons que ce n’est d’ailleurs pas seulement une obligation pour le pouvoir politique mais que cela découle aussi dans une certaine mesure d’un souci réel de nos gouvernants d’entendre la
population.
Par exemple, avant la naissance de la Région bruxelloise, il n’existait pas d’enquêtes publiques en matière urbanistique, ni par conséquent les (mal nommées) commissions de concertation qui nous sont devenues familières : tout ceci est né sous la pression des associations d’habitants ainsi que d’une prise de conscience du monde politique que cela répondait à une nécessité. On pourrait citer encore beaucoup d’autres exemples, comme le droit de pétition que le Parlement bruxellois est sur le point d’organiser, ou l’interpellation citoyenne devant un Conseil Communal. Le problème est venu de ce que les habitants se sont emparés de ces instruments, souvent à bon
escient mais pas toujours, et ont parfois exercé des recours contre les décisions. Ce que voyant, le pouvoir politique s’est énervé, surtout quand les recours le concernaient ! De là une tendance qui ne cesse d’augmenter de modifier la législation en vue d’empêcher ou de réduire l’action citoyenne, que ce soit au niveau de la consultation ou à celui
du recours.
C’est ainsi que la CMRS (Commission Royale des Monuments et des Sites), qui avait le droit d’émettre dans certaines matières des avis contraignants, c’est-à-dire qui devaient être respectés (pouvoir peut-être discutable car accordé à une instance juridiquement non responsable) a perdu ce pouvoir ; dans certaines matières, elle n’émet plus que de simples avis dont le pouvoir décisionnel peut s’écarter.
Autre exemple : le CoBAT (Code Bruxellois d’Aménagement du Territoire) pour lequel le Gouvernement bruxellois a adopté un projet de réforme qui est maintenant en discussion au Parlement. Plusieurs dispositions du projet tendent clairement à restreindre la participation du public alors qu’elle est garantie par la Convention d’Aarhus et par des Directives européennes. C’est ainsi que quand une étude d’incidences est nécessaire à cause de l’importance du projet, on supprime l’enquête publique sur le cahier des charges. Avec cette modification, le cahier des charges du projet Drôhme (à l’hippodrome de Boitsfort) n’aurait pas dû être mis à l’enquête publique ! Plus globalement, il suffit de lire les commentaires qui sont consacrés à ce CoBAT mofifié, dans le n° 280 de janvier – février 2016 de Bruxelles en Mouvements de l’asbl Inter- Environnement Bruxelles, pour comprendre que le Gouvernement bruxellois préfère dérouler le tapis rouge aux promoteurs que créer les conditions d’un dialogue sur l’avenir de la Région avec les habitants.
A la vérité, l’équilibre est difficile à trouver entre d’une part le droit pour le public de s’exprimer et de contester les décisions prises par l’autorité, et d’autre part le pouvoir et le devoir de décider par ceux qui en sont investis.
Revenons au façadisme de participation en nous plaçant au simple niveau de la consultation du public. Que voit-on ?
L’importance de l’action citoyenne
Tout ceci montre l’importance d’un contre-pouvoir indépendant, politiquement et économiquement.
Le mot « pouvoir » doit cependant être bien compris : sauf à s’engager dans la voie de la démocratie directe, les habitants ne possèdent pas de pouvoir décisionnel ; ils ne peuvent qu’être attentifs à la manière dont se construit leur ville, à attirer l’attention sur le respect de la législation urbanistique et la protection de l’environnement ; ils doivent dénoncer la mainmise des promoteurs immobiliers quand ceux-ci ne sont guidés que par leur intérêt personnel ; la mission des habitants est de penser la ville dans la perspective du long terme (ce que le pouvoir politique a bien de la peine à faire tant il est obnubilé par les prochaines élections et tant il est soumis au diktat des partis). Le pouvoir démocratique existerait-il sans la critique du pouvoir ?
C’est le rôle des associations d’habitants de soutenir l’action citoyenne par ce qu’on appelle l’éducation permanente. Il s’agit d’un travail d’accompagnement de longue haleine, réalisé avec de bien maigres moyens et le plus souvent par des bénévoles ; il se révèle parfois bien difficile tant les matières deviennent techniques et tant il est malaisé d’avoir une vue transversale des problèmes. C’est pourtant le rôle de l’ACQU !